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5 février 2013 2 05 /02 /février /2013 23:00

                  

 

Les libertariens ont souvent évoqué les notions de banque libre et de monnaie privée[1]. Il s’agit selon eux d’un système monétaire dans lequel n’existe pas de banque centrale, ni de régulateur au sens moderne du terme c’est-à-dire autorité administrative dépendant de L’Etat. Cela implique par conséquent que l’émission monétaire est le fait de banques, une monnaie ne pouvant se prévaloir d’un quelconque Etat garantissant cours légal et pouvoir libératoire illimité. La monnaie porte aussi le nom de la banque émettrice qui entre ainsi en concurrence avec les autres établissements bancaires. Les fonctions classiques de moyen de paiement, de réserve de valeur et d’unité de compte sont ainsi cédées au marché, lequel est censé détecter la ou les banques qui assurent le mieux les dites fonctions.

 

Le mythe de la monnaie comme bien privé parmi d’autres.

 

Le point de vue libertarien est curieusement normatif alors même que ses représentants sont les seuls économistes à s’être efforcés de construire une théorie de la genèse de l’Etat et de sa nature, théorie qui ne soit pas la traditionnelle « pièce rapportée », au beau milieu des raisonnements économiques, afin de les parfaire ou de les compléter. Pièce rapportée, pour les néoclassiques de façon assez magique : l’Etat vient compléter et parfaire le travail des marchés, devenant ainsi la « main  visible » complétant le travail de la « main invisible » ; et pièce rapportée tout aussi magique pour les keynésiens : l’Etat vient corriger les faiblesses du marché, devenant ainsi la béquille du capitalisme.

Curieusement, parce que les libertariens pensent savoir quelle est la vraie nature de l’Etat : un objet social immortel et surtout inattendu (donc involontaire) issu de l’interaction sociale volontaire, ils proposent des solutions peu probables en matière d’organisation monétaire et financière. Peu probables en ce sens que logiquement le fonctionnement des marchés politiques qu’ils décrivent assez correctement ne peut pas déboucher aisément sur des banques libres et une monnaie privée. Nous verrons au contraire que la monnaie, en raison même de la nature profonde du pouvoir est un objet politique complètement central…même si cet objet est parfois confié – au moins partiellement- à des banques privées, mais toujours régulées par une autorité.

C’est ce qui explique qu’empiriquement, banques libres et monnaie privée furent des objets assez rares, et dont l’existence était éphémère. A cet égard, les ouvrages et articles qui soutiennent le caractère courant de la liberté d’émission[2] dans des espaces devenus réellement marchands, doivent être réévaluées et dans bien des cas, les banques libres disposaient de monopoles légaux, ce qui était notamment le cas de la Banque de France de Napoléon qui n’était pas vraiment libre…ni bien sûr banque centrale. Dans d’autres cas, les banques dites libres étaient probablement davantage des concessions politiques au regard de régions encore insuffisamment soumises à un pouvoir central, ce qui peut correspondre à la situation des banques libres d’Ecosse. Précisons enfin que l’absence de banque centrale ne signifie pas banques libres. Il peut en effet exister d’autres formes de tutelles y compris aux USA d’avant la création de la FED.

 

La monnaie comme «  belles histoire » à raconter aux étudiants

 

Les manuels d’économie délivrés aux étudiants sont souvent plus sobres en ce qui concerne la monnaie. Dépourvus généralement de références ethnologiques et sociologiques, et sobrement pourvus de références historiques, la genèse de la monnaie y apparait comme belle histoire de l’aventure de l’échange marchand, échange lui-même peu expliqué, et qui se borne à la problématique du dépassement du troc, dépassement faisant émerger un équivalent général appelé monnaie. Marx grand dénonciateur, avec sa « Critique de l’Economie Politique » n’ira pourtant pas plus loin avec une monnaie qui ne cristallise que de la valeur travail et assure les « métamorphoses de la valeur ».

 

La monnaie n’est pas un bien public.

 

    Le souci classificatoire reposant sur la distinction bien privé/ bien public ne nous aide pas non plus beaucoup pour repérer la nature profonde de la monnaie. Si elle  permet l’échange privé et se trouve faire l’objet d’une appropriation privative, on sent bien aussi son caractère social et donc public, puisque sa valeur et sa capacité à circuler dépend fondamentalement d’un consensus social. Son utilité en quelque sorte dépend du regard d’autrui, ce qui n’est pas le cas d’un bien réellement privé. Mais la monnaie ne relève pas non plus véritablement de la théorie des biens publics. Le principe de non exclusion ne s’y constate pas : si on ne peut exclure l’usage d’un panneau de circulation routier, l’accès à la monnaie est plus problématique pour celui qui n’a pas les moyens de s’en procurer par le travail, le capital, la famille, etc. De la même façon, le principe de non- rivalité n’est pas respecté et les économistes évoquent par exemple, à offre de monnaie constante, l’effet d’éviction pouvant être engendré par un Etat trop accapareur d’épargne au détriment d’investisseurs privés.

 

La monnaie comme simple bien mis sous tutelle.

 

Les juristes seront d’un bien meilleur secours pour, au moins empiriquement, qualifier la monnaie. A cet égard la notion de service public selon la définition donnée par Léon Duguit est riche d’intérêt. Selon ce publiciste : « toute activité dont l’accomplissement doit être assuré, réglé, et contrôlé par les gouvernants parce que l’accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale, et qu’elle est d’une telle nature qu’elle ne peut être réalisée complètement que par les gouvernants est un service public ».

Il est à priori possible, relativement à la monnaie, de contester une telle définition qui, rédigée au 19ième,  apparait inactuelle, voire à bien des égards erronée. Ainsi les monnaies locales assurent l’interdépendance sociale et fonctionnent fort correctement sans les Etats. Conçues pour assurer l’interdépendance sociale (elles ne libèrent jamais) les Etats y apparaissent complètement inutiles. Toutefois les monnaies dites modernes sont d’une autre nature, car elles sont réserves de valeur et sont de la liberté (« liberté frappée » disait-on autrefois). Parce que l’interdépendance sociale n’est plus faite de réciprocité volontaire et directement visible pour les acteurs, il faut bien une extériorité, venant garantir la réserve de valeur ou le réel pouvoir libératoire de l’instrument monétaire. Dans le cas de la monnaie locale ,il y a auto production du lien qui fait société. Dans le cas de la monnaie moderne, c’est un extérieur qui doit produire la confiance dans l’interdépendance sociale. La monnaie doit donc être effectivement un bien mis sous tutelle. De ce point de vue, Léon Duguit et son idée de service public, exprime bien une réalité indépassable de la monnaie moderne, idée qui sera repris bien plus tard par Richard Musgrave (1957) sous l’expression de « bien tutélaire ».

 

 Aller  plus  loin pour comprendre la nature de la monnaie.

 

Nous voudrions allez beaucoup loin et montrer que cette dernière idée- la monnaie comme bien tutélaire- désigne une réalité beaucoup plus fondamentale  toujours masquée, à savoir que la monnaie est un objet politique central dont le devenir historique est sa progressive dégradation en objet aux apparences simplement économiques. Et donc une apparence redevable de l’analyse économique. Mais une dégradation ne signifie  pas pour autant, un  changement de nature.

 

Historiquement, à l’aube de la naissance du politique et de l’Etat, le pouvoir s’annonce comme instance  récupèrant les propriétés de l’universalisme de toute religion, à savoir l’idée de dette des hommes vis-à-vis des puissances de l’au- delà.  Ce qui était de l’ordre de la dette de vie envers les dieux, devient endettement généralisé envers un pouvoir violent : un « coup d’Etat fondant l’Etat » selon une expression devenue célèbre[3]. Les formes de la dette nouvelle sont autant de sacrifices, variés en qualité, et  variés en quantité de violence: dette de sang,  esclavage généralisé, tribut divers, corvées, impôt. L’impôt moderne, monétaire, trouve ainsi ses racines dans le remplacement du religieux par le politique. Mais la partie de la dette appelée impôt monétaire, n’est vraiment dette que si le pouvoir a la capacité de se faire payer en une  monnaie qu’il a choisi, c’est-à-dire celle qu’il contrôle. Si tel n’était pas le cas, le pouvoir prendrait le risque de se faire payer – la dette des sujets - en une monnaie non admise par ses créanciers, ce qui reviendrait à une libération des sujets vis-à-vis de l’impôt. Par exemple, on voit mal un Etat acceptant de se faire payer en monnaie locale, que l’on pourrait imprimer et qui ne correspondrait qu’à fort peu d’utilité pour lui, tant la monnaie locale échappe à l’universel recherché par l’Etat. Parce que ce dernier exige l’universel seul susceptible de maintenir l’intégralité de la dette des sujets, il ne peut accepter qu’une monnaie parfaitement convertible. Plus concrètement encore, on voit mal un commerçant algérien implanté en France payant ses impôts au Trésor français en Dinars…inconvertibles…

 

La monnaie est le cœur du réacteur du pouvoir en formation

 

On peut ainsi dire, et ce à l’appui des thèses néochartalistes que la monnaie moderne, avec toutes ses caractéristiques, est historiquement la forme choisie par le pouvoir pour le règlement de la partie de la dette des sujets appelée impôt .

Toujours sur le plan historique, la forme choisie par le pouvoir est celle qui rend sa créance la plus universelle c’est à dire la plus liquide possible. Concrètement, parce que le pouvoir exerce des fonctions guerrières coûteuses et qu’il est souvent amené à effectuer des paiements au profit d’autres pouvoirs extérieurs à lui, la forme choisie ou élue -par tous les pouvoirs politiques - sera le métal.

Il est faux de dire que le métal est une valeur en soi, comme pourra l’énoncer Marx et bien des économistes. Le métal est simplement la liquidité universelle qui, spontanément, a généré de l’inter action sociale. Et de la liquidité universelle qu’il affiche, découlera sa fonction réserve de valeur. Liquidité universelle et réserve de valeur sont indissolublement liés.

Ce créancier universel qu’est l’Etat en formation peut aussi contracter des dettes envers d’autres pouvoirs, mais aussi envers des personnes qu’il ne contrôle pas, et qui pourtant sont d’une grande utilité. Il s’agit des mercenaires que l’on rétribuera  en métal. Les mercenaires utiliseront ainsi le métal pour leurs dépenses - de simples dépenses courantes de consommation - auprès des sujets endettés, sujets endettés qui paieront l’impôt à partir des ressources acquises sur les  dépenses des mercenaires.

Le cercle est ainsi bouclé, et le  "Circuit du Trésor" cher à François Bloch Lainé n’est pas une invention de l’Administration française de l’après  seconde guerre mondiale, mais le cœur même de toute chaudière étatique en formation.

Il apparait ainsi que la nature profonde de la monnaie, ce qui constitue en quelques sorte son identité au sens génétique du terme, est fondamentalement politique. Ce n’est pas un bien mis sous tutelle par le pouvoir une fois que celui-ci est né. Il est le moyen de son engendrement et de la violence qu’il génère. C’est la raison pour laquelle la monnaie doit plutôt être désignée comme objet politique  central : elle est ce qui a fait l’Etat. Et elle est aussi l’objet qui en assure son maintien. Telle est sa marque biologique qui permet de bien comprendre les évènements historiques qui la concerne. Elle permet aussi de comprendre ce qui souvent n’est plus discuté, et surtout plus mis en avant, avec l’évolution du pouvoir vers sa forme Etat de droit : « Battre monnaie est un attribut de la souveraineté ».



[1] On pourra citer bien sûr Friedrich Hayek, mais aussi David Friedman ou Pascal Salin. On trouvera en fin d’article une courte bibliographie.

[2] Parmi eux citons Lawrence H White (1995), Kevin Dowd, ou Kurt Schuler.

[3] Cf l’analyse de Pierre Clastres dans « La société contre l’Etat » ,Minuit,Paris,1974.

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1 janvier 2013 2 01 /01 /janvier /2013 23:00

 

 

couverture du livre

 

 Le livre est en vente dans toutes les librairies

 

 

Les pactes de compétitivité qui fleurissent un peu partout dans la zone euro, font le pari qu'en augmentant le taux de marge (Exédent brut d'exploitation rapporté à la valeur ajoutée, ou dans la littérature EBE/VA), l'investissement pourra s'accroitre et avec lui l'emploi. Nous avons déjà sur ce blog largement critiqué un tel point de vue. Nous voudrions dans le présent texte aborder la question sur un plan à la fois analytique et historique.

En longue période, l'examen comparé de l'évolution de l'EBE et du taux d'investissement des sociétes non financières ne permet pas d'établir un lien causal ni même une simple corrélation. Ainsi en France, d'après les sources de L'INSEE de 1950 à 1970, nous constatons un taux d'investissement élevé ( moyenne d'environ 25 points de PIB) avec des taux de marge relativement faibles ( moyenne d'environ 29% ). En revanche sur la période 1990-2010, nous constatons un phénomène inverse avec des taux d'investisement faibles ( 20% en moyenne) et des taux de marge élevés (32% en moyenne). Il est donc très difficile d'attribuer la chute de l'investissement constatée aujourd'hui au recul du taux de marge passé de 32,3 en 2008 à 28,2 en 2012. A cette constatation il convient d'ajouter, et il s'agit d'une simple conséquence, que la croissance n'est pas non plus corrélée au taux de marge. Ainsi avec un taux de marge plus élevé entre 1990 et 2010 (en moyenne 3 points de plus qu'entre 1950 et 1970) la croissance globale se trouve être divisée par deux. Il est donc à tout le moins peu crédible d' anticiper une croissance plus élevée en se fixant comme variable causale -notamment l'introduction en France d'un crédit d'impôt- une hausse du taux de marge.

De fait, la chute de l'investissement associée à un EBE élevé jusqu'en 2008 correspond au passage d'une économie d'endettement (la part de l'intermédiation bancaire était de 55% en 1995) à une économie de marché financier (la part des marchés fianciers est de 60% en 2010). Un tel passage explique au moins partiellement le recul de l'investissement où le temps long de l'investisseur est supplanté par le temps court des actionnaires.

Toujours en longue période il est difficile de lire le déficit de demande globale à l'échelle mondiale dans l'évolution de la part de la valeur ajoutée dans le chiffre d'affaires des SNF. Logiquement, et intrinsèquement, cette part devrait en longue période augmenter en raison des effets de la croissance de la productivité. C'est bien ce que l'on constate avec un passage de 28% en 1950 à 40% en 2000. Toutefois les effets déprimants de la mondialisation devraient jouer un double rôle: diminuer la valeur des consommations intermédiaires importées et, en revanche, comprimer les prix à l'exportation, soit deux forces exerçant des effets contraires. Il est difficile , d'après les chiffres les plus récents, de conclure sur un effet déprimant de la mondialisation, puisque la part de la valeur ajoutée dans le chiffre d'affaires des SNS passe de 42% en 1990 à 40% en 2010.

En réalité, si effet déprimant il y a, son impact doit plutôt être mesuré sur les emplois non créés en raison de la chute de l'investissement, chute elle-même partiellement explicable par un manque de débouchés. Emplois non créés et non baisse des salaires puisque toujours à l'intérieur des SNF, la part des salaires dans la valeur ajoutée a eu plutôt tendance à augmenter : 64% en 2008 et 68% au second trimestre 2012. Avec même une hausse de 7 points pour la seule industrie manufacturière qui consacre désormais 79% de la valeur ajoutée aux rémunérations. Avec aussi une nuance très importante à savoir que la distribution des salaires  est devenue très inégalitaire, (fait très souvent débattu),  inégalité qui a laissé la hausse sur les fameux 1%, 0,1% et surtout 0,01% du haut de l'échelle. Rémunérations pharaoniques qui sont aussi le reflet d'un maquillage juridique de profits désormais labellisés sous la forme "salaires". 

Au total c'est dire que l'effet dépressif de la mondialisation ne joue pas pour les "insiders" et se reporte pleinement sur les "outsiders", lesquels se retrouvent durablement éloignés de l'emploi.

Par contre la hausse des rémunérations des insiders explique au moins partiellement la chute de l'EBE.

Finalement, et s'agissant de la France, la mondialsation n'a eu sur les salaires qu'un effet indirect. Bien sur la mondialisation développe des effets déprimants sur la demande globale, bien sûr elle transforme le salaire en variable unidimensionnelle (seulement coût et non plus coût et débouché), mais elle s'est sutout exprimée sous la forme de poche croissante et irréductible du chômage. Avec comme effet secondaire un déficit public accru en raison de la concurrence fiscale d'une part, et du filet de l'Etat-providence à densifier en raison d'une production plus grande "d'inutiles au monde" qu'il faut bien aider.

Les choix sont donc clairs: ou bien on poursuit l'utopie mondialiste avec accroissement simultané des stocks de dettes et "d'inutiles au monde", ou bien l'inflexion du retout à l'Etat-Nation est décidée. Cela passe évidemment par une négociation internationale visant à l'équilibre des balances courantes. Autant de questions déjà largement évoquées sur ce blog.

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16 avril 2012 1 16 /04 /avril /2012 12:59

  

 

          Outil à négocier pour le prochain président de la république, ou projet de Traité se substituant au "Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance dans l'Union économique et monétaire" (TSCG).

  

   

        

 

Critique du « LTRO ancien » :

 

- Absence totale de fléchage clair des fonds alloués ;

- Maintien des déséquilibres extérieurs source de la ruine du sud (publique et privée)

- Tombe dans la trappe à liquidités et ne débouche pas sur de l’investissement ;

- Matière première de la spéculation que le LTRO contribue à nourrir.

 

Objectifs d’un « LTRO nouveau » :

 

- S’affranchir du couple infernal : « rareté monétaire publique/trappe à liquidités privées » ;

- Renouer radicalement avec la croissance et respecter la contrainte environnementale ;

- Se diriger vers des croissances plus autocentrées, (équilibre des échanges extérieurs) ;

- Faire de l’Europe le modèle réduit d’une mondialisation réussie ;

- Trouver une solution qui ne soit pas un simple gain de temps ;

- S’affranchir de la « Corporate Governence » et contribuer à  faire de l’entreprise une institution.

-  Alléger le service de la dette.

 

Procédure :

 

 

- Modification du statut de la BCE ;

- Fixation d’une enveloppe large d’investissements  par création monétaire de la BCE ;

- Répartition de l’enveloppe entre pays et à l’intérieur d’un pays entre privé et Etat ;

- Critères des « droits de tirage sur BCE » : 1) poids relatif des PIB, 2) poids du service de la dette,3)    poids du déficit extérieur ;

- La somme  en pourcentage des critères 2 et 3 détermine le droit de tirage du pays à l’intérieur de l’enveloppe globale et ce compte tenu du critère 1.

- La partie du droit de tirage affectée au Trésor des pays ayants droits, est obligatoirement affectée à des investissements publics, et ne peut en aucune façon combler un déficit de fonctionnement ;

- Les banques centrales nationales reçoivent et répartissent le droit de tirage de chaque pays ;

- Le collatéral perçu en retour correspond aux actifs représentatifs des investissements privés et publics réalisés au titre du droit de tirage. La monnaie crée est détruite par les remboursements.

 

Facteurs d’efficience :

 

- La modification du statut de la BCE est facteur d’affaissement de l’euro, donc de gains de compétitivité de la zone euro.

- Le mode de calcul des droits est très favorable à l’optimisation (au sens de Mundell)  d’une zone monétaire : l’Allemagne ne perçoit rien et ne paie rien, le sud reçoit beaucoup sans être subventionné par le nord. C’est le système bancaire qui finance et non le système fiscal des pays riches.

- Le système bancaire recevant les droits de tirage les utilise selon la logique la plus classique , le fléchage du LTRO nouveau ne facilitant en aucune façon des irresponsabilités en matière de décision sur les investissements opérés .

- Les pays du nord ont intérêt à la construction de droits de tirage dont ils pourraient devenir bénéficiaires en consolidant leur Etat Providence et en s’acheminant vers des déficits extérieurs.

- Les pays du sud  n’ont pas – avec le dispositif  retenu - avantage à choisir le modèle exportateur comme mode de développement, un tel choix venant diminuer le droit de tirage dont ils bénéficient.

 

 

 

 

 

 

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21 juin 2011 2 21 /06 /juin /2011 09:07

   

Si le système financier a pu atteindre des dimensions jugées disproportionnées, c’est disions- nous en raison d’un processus généralisé de titrisation du réel. Encore faut-il que ce dernier soit titrisable et donc accessible à la titrisation. De  ce point de vue, lorsque le monde réel vit au sein d’un marché muselé voire interdit, le carburant d’une financiarisation sans limite se fait trop rare. C’est le cas lorsqu’un système monétaire international, tel celui de Bretton Woods  surveille étroitement le strict respect du principe des taux de change fixes ; ou lorsque les déficits publics sont gérés hors marché par répression financière; voire enfin,  lorsque la bancarisation d’une société se trouve très limitée .

Autant de faits qui renvoient à l’organisation politique du réel. D’où l’hypothèse suivante : les caractéristiques qualitatives et quantitatives  du système financier renvoient au mode d’appropriation de la contrainte publique à des fins privées,  et donc aux modalités de fonctionnement des Etats.

Si l’on considère 3 états possibles du système financier : un système de banques libres, un système hiérarchisé avec banque centrale dépendante des Etats, et un système hiérarchisé organisant l’indépendance des banques centrales, il est possible d’établir une relation de correspondance entre forme du système financier et forme de l’Etat.

Un objet éphémère : la banque libre.

Une première relation de correspondance peut être lue empiriquement, dans ce qui faisait, à la fin du moyen-âge, l’articulation des familles de financiers pratiquant librement le change des monnaies, aux pouvoirs étatiques monopolisant le monnayage des espèces métalliques. Articulation bien examinée par Boyer- Xambeu ( « Monnaies privées et pouvoirs des princes »- Presses de sc-po- 1986). Plus théoriquement, il s’agit là d’entrepreneurs économiques- des  banquiers privés- en relations plus ou moins conflictuelles avec des entrepreneurs politiques – des princes- utilisant la contrainte publique à des fins privées . Jeu d’acteurs bien connus des théoriciens de l’aventure étatique.

Ce premier mode de congruence, entre système financier et forme étatique, n’avait qu’un avenir limité tant la suite de l’aventure étatique devait confirmer l’unité, entre cet équivalent général qu’est la loi,  et cet autre équivalent général qu’est la monnaie. Toutefois des réseaux de banques libres, travaillant en milieu concurrentiel, ont existé dans nombre de pays, et en particulier en Ecosse entre 1715 et 1845. Des banques libres, émettent ainsi de la monnaie privée sur la base de contrats de monnaie, jouissant des principes de la rigueur des contrats. Cela signifie que le papier émis ne peut être manipulé, sauf à encourir des sanctions juridiques portant jusqu’à la saisie des biens propres des banquiers émetteurs. Parce qu’échange privé, le contrat de monnaie prévoit le respect des droits de propriété des échangistes. Un libertarien comme Hayek, sera au 20ième  siècle, évidemment favorable à la privatisation de la monnaie, comme solution au strict respect des contrats.

En raison de sa nature contractuelle, la monnaie émise par ces banques libres, est un équivalent général contractuel et non légal. C’est dire que les diverses monnaies émises en concurrence, doivent pourvoir s’échanger librement, sur la base de la confiance envers les divers contrats de monnaie. Cela signifie une très grande responsabilité des banquiers, qui sont porteurs d’un intérêt complètement personnel à la valeur de la monnaie qu’ils émettent. Ce qui nous éloigne des libertés autorisées par le bouclier du « too big to fail », et de tout ce qui aura permis sa construction. Au plan étatique, cela signifie encore des entrepreneurs politiques qui se bornent à n’utiliser la violence de la loi, que pour faire respecter la propriété.

La finance enkystée dans l’Etat

 Objet historique aujourd’hui disparu, il est difficile d’estimer la taille du système financier qui aurait ainsi pu s’épanouir. Toutefois on peut penser, que le principe de responsabilité extrême sur lequel repose un tel dispositif, aurait bloqué le développement excessif de la liquidité, les bulles correspondantes, la titrisation scabreuse, etc. De quoi finalement penser, que le système financier se serait développé en homothétie avec le réel, ce qui interdit, en principe… des bilans plus lourds que le PIB du pays d’accueil…. Phénomène parfois rencontré aujourd’hui.

La seconde relation de correspondance entre système financier et système étatique, est plus historique, et correspond approximativement aux aventures du  19ième et surtout du  20ième  siècle. Ici, l’équivalent général n’est plus de nature contractuelle : il devient légal. La violence de la loi  (monopole d’émission, cours forcé, inconvertibilité etc.) permettant à des entrepreneurs politiques d’un espace, parfois en conflits avec d’autres entrepreneurs politiques d’un autre espace, de ne plus respecter les droits de propriété des porteurs de monnaie. Désormais, sur la base de l’idéologie d’un intérêt public, par exemple l’idée de nation, se met en place un système financier hiérarchisé, avec banques centrales et banques de second rang. Quelle que soit la forme prise – banque centrale privée ou publique, banques de second rang plus ou moins spécialisées, ou plus ou moins réglementées, voire nationalisées -  les entrepreneurs politiques octroient un monopole d’émission à la banque centrale, tandis que les banques de second rang conservent leur pouvoir de création monétaire, sur la seule base de la libre conversion de leur monnaie. Une monnaie qui n’est plus assortie d’un contrat de monnaie, puisque la base monétaire reste la monnaie centrale. La marche vers l’abandon de l’or et l’inconvertibilité généralisée, procure des marges de manœuvres croissantes au profit des entrepreneurs politiques, lesquels délimitent de plus en plus le terrain de jeu du système financier, un système parfois complètement articulé et cadenassé, à l’intérieur d’un vaste « circuit du Trésor » (France). Terrain de jeu effectivement limité : activités bancaires spécialisées et dûment compartimentées, règlementation stricte concernant les mouvements de capitaux, financement hors marché des déficits publics, large contrôle des prix sur les grands produits de base limitant leur financiarisation,  etc. le métier de banquier se transforme progressivement, le travail de  simple bancarisation croissante , se substituant aux responsabilités lourdes d’un « bank run », devenu impossible dans une situation qui assure la domination/protection  des entrepreneurs politiques, lesquels travaillent idéologiquement au nom d’un intérêt général. Parce qu’il existe désormais un prêteur en dernier ressort, parce qu’il existe une règlementation fine limitant- parfois au quotidien- l’éventail des possibles, le banquier souvent resté privé, n’est plus que l’ombre d’un chef d’entreprise : il est largement déresponsabilisé. Simple gestionnaire, souvent à l’abri d’une concurrence restée très timide, il gère des crédits, dont les modalités relèvent davantage de circulaires, que de contrats individualisés et librement négociés.

Le système financier qui résulte de ce type d’articulation avec l’ordre politique, s’accroit – dans son volume- par la simple bancarisation des activités, mais ne se développe pas par détachement vis-à-vis de la réalité. Parce que les entrepreneurs politiques se trouvent dans l’obligation historique de gérer en hiérarchie – conduite des guerres, reconstruction, édification d’un Etat-providence- peu de place est laissée à ce qui pourrait être le carburant d’une titrisation généralisée. Et Bretton Woods ajoutera sa pierre, afin que le système financier soit préservé du gigantisme qui allait devenir sa maladie de la fin du 20ième siècle. La répression financière correspondant à ce type de monde participe au développement de l’idée d’un intérêt général. Et le marché politique et la forme d’Etat qui lui correspond connait probablement un âge d’or : celui d’un fordisme triomphant.

L’ Etat enkysté dans la finance 

La troisième relation de correspondance entre système financier et système étatique, est le fait de la présente période. Période qui nous fait passer d’une finance enkystée dans l’Etat, à un Etat enkysté dans la finance. Ce qui ne voudra pas dire la disparition du politique mais simplement un fonctionnement, toujours ô combien nécessaire, sur la base des intérêts supérieurs de la finance. Ce qui ne voudra pas dire non plus libéralisme, et l’image du renard libre dans le poulailler libre, mais échange de services entre financiers et entrepreneurs politiques, avec pour résultat, l’irruption de l’utopie  mondialiste affaissant les frontières, territoires, et institutions, et déployant l’individu libre mais assujetti à ses désirs, consommateur a- national, souvent investisseur planétaire et parfois libéré – malgré lui -- de toute structure productive.

Le point de départ du nouveau paradigme est la fin de Bretton Woods, fin  proclamée par le président des Etats Unis le 15 août 1971. Désormais il n’y aura plus de limite au « déficit sans pleurs » (Rueff) et l’aventure de la mondialisation peut commencer, avec ce que nous appelons l’édification des « autoroutes de la finance ». La construction est un fait juridique, lourd et massif, donc produit par les entrepreneurs politiques. Ce sont les Etats qui vont fabriquer les marchés financiers et la mondialisation. Ce sont donc les entrepreneurs politiques qui vont choisir de « renverser le monde », et de ne plus avoir une finance enkystée dans les Etats, mais des Etats enkystés dans la finance.

Cela commence avec la fin des taux de change fixes et la convertibilité généralisée- décision politique, il est vrai grandement acquise sous la pression des professionnels de la City - avec en conséquence la naissance d’un gigantesque terrain de jeu pour tous les « investisseurs » sur le risque monétaire. Cela se poursuit avec le big-bang du London Stock exchange avec les  « 3 D » qui vont lui correspondre : Déréglementation, Décloisonnement, Désintermédiation. Travail juridique considérable, avec souvent cartellisation des entreprises politiques qui vont en être les promoteurs,  et en bout de piste la privatisation générale de toutes les institutions chargées de dire les prix, notamment les bourses partout dans le monde occidental, mais aussi la fin des professions réglementées comme celle des agents de change. C’est aussi la mise en continu du marché. C’est bien sûr, au nom de la profondeur et de l’efficience des marchés que les Etats cesseront la vente directe de bons du Trésor, pour désormais passer par les marchés offerts par les banques désormais internationalisées par le jeu de la libre convertibilité : les Etats veulent internationaliser leur dette et vont donc tout entreprendre pour assurer une parfaite libre circulation des capitaux. Mais c’est aussi la décision de libérer les banques centrales des contraintes publiques : elles deviennent toutes indépendantes et chargées pour l’essentiel de contenir l’inflation, donc favoriser l’épargne.

On aurait tort de croire que cet immense travail juridique mené sur plus de 15 années correspond à autant de « contrats » déséquilibrés; au détriment des Etats et de leurs entrepreneurs. Et ce n’est pas parce que l’on passe de la finance enkystée dans les Etats, à des Etats enkystés dans la finance, que les entrepreneurs politiques vont perdre à l’échange. De fait, il s’agit souvent d’accords mutuellement avantageux, puisque dans bien des cas, la financiarisation permettra de nouvelles politiques sociales, porteuses de bulletins de vote. Tel est est le cas des prêts « NINJA » (« no income, no job, no assets ») qui correspondent certes à une imposition de la puissance publique, mais sont aussi assortis de dispositifs de couverture, et d’évacuation des risques sur d’autres agents : titrisation généralisée, produits structurés, émergence des CDS, force gravitationnelle de Freddie Mac et Fannie Mae, etc. Bref des contrats qui développent les avantages du clientélisme pour les uns – entrepreneurs politiques- et la déresponsabilisation pour les autres – la finance.

Nouvelle articulation finance /Etat et production d’un monde nouveau

Sans cet énorme travail juridique, qui n’est que la construction politique de ce qu’on appelle la mondialisation, il n’y aurait pas aujourd’hui cet ensemble de faits qui questionnent, mais qui prennent sens et sont parfaitement explicables: montée des dette publiques gérées sur le marché international par des agences spécialisées, chargées d’en réduire le coût; internationalisation du capital des entreprises, et réduction des formes sociales aux fins de  généraliser le modèle par action ; montée des déséquilibres internationaux ( « global imbalences ») avec  forte croissance des inégalités entre groupes sociaux à l’intérieur des pays ; innovations financières permanentes construisant une épargne moderne, ardente consommatrice de dettes publiques désormais marchandisées ;  élargissement considérable des comportements à risques : minimisation des fonds propres, titrisation échevelée et généralisation des activités hors bilan, etc. ; développement sans limite de la spéculation sur les devises, matières premières, produits de base, avec leurs entreprises correspondantes : Hedge funds, souvent équipés de produits systémiques comme le « Exchange Trade Fund », avec effacement de la frontière  morale et juridique,  entre ce qui est réputé « investissement » et ce qui est réputé « spéculation » ; alourdissement qualitatif et quantitatif des paradis fiscaux davantage spécialisés dans la compétitivité règlementaire; montée de la banque universelle et des conflits d’intérêts qui lui sont possiblement associés ; privatisation des organismes d’édiction des normes comptables ; développement d’un complexe « politico-financier », avec élargissement d’une communauté de « fonctionnaires –financiers » (notamment en France ), ou de « financiers- fonctionnaires » (notamment aux USA) ; mutation  des nations en sociétés anonymes plongées dans un milieu concurrentiel avec citoyens actionnaires et Etats transformant, dans le monde des apparences, le politique en simple « gouvernance ».

Ce partenariat exemplaire, faussement libéral et tout aussi faussement keynésien, entre financiers et entrepreneurs politiques développe 2 conséquences.

La première est la plus évidente : les Etats se font dans le monde des apparences beaucoup plus petits, et la finance complètement tentaculaire….avec les revenus correspondants. La réalité est autre : le gigantisme financier est le moyen nouveau de l’aventure étatique. Ce sont toujours les Etats et leurs entrepreneurs qui tiennent les ficelles règlementaires, et donc fixent les règles du jeu. Et un jeu qui permet au moins de gagner du temps, c'est-à-dire de prolonger un fordisme – désormais malade car amputé dès la fin des années 70 de ses magiques gains de productivité- par d’autres moyens : maintenir l’emploi en stimulant les demandes globales par le fantastique développement du crédit, donc de la dette privée (USA, Irlande, Grande Bretagne, Espagne, etc.) ; maintenir l’Etat providence malgré les pertes de ressources fiscales du fordisme déclinant en développant une dette publique d’autant moins couteuse qu’elle se trouve davantage internationalisée ( France notamment) ; et en raison des mêmes causes et avec les mêmes moyens, maintenir la puissance (USA). Le fordisme triomphant n’avait guère besoin d’une finance développée. Son agonie, et l’affolement des entrepreneurs politiques qui s’en nourrissaient, justifient de la part de ses mêmes entrepreneurs, un fantastique investissement vers une finance qui deviendra tentaculaire. Le politique ne s’efface pas, derrière un faux libéralisme et la gigantesque construction financière, et ses entrepreneurs ont besoin de pérenniser un partenariat équilibré avec les banques : Il faut   sauver ces dernières durant la crise … pour que les entrepreneurs en question se sauvent eux-mêmes. Clientélisme et irresponsabilité, restent les objectifs du mariage entre désormais le « petit Etat » et  la « grosse Banque ». Et mariage qui jusqu’ici ne supporte pas l’infidélité.

La seconde ne concerne pas directement cet article centré sur le gigantisme financier. Pour autant elle est aussi la conséquence du partenariat entre banquiers et entrepreneurs politiques. Dans le fordisme devenu mutant, le citoyen va apparaitre à tout le moins dissocié. Jadis, en fordisme, au centre de 3 cercles concentriques ( citoyen/salarié/consommateur), il est désormais, en tant qu’enfant du « petit Etat » et de la « grosse Banque » un être dissocié : il tue involontairement son statut de salarié, en satisfaisant ses désirs consuméristes de marchandises mondialisées acquises à l’aide d’ un crédit facile ; Il aime ce sous produit du mariage des Etats et de la finance qu’est la « drogue –euro », laquelle  lui procure un pouvoir d’achat élevé, souvent invisiblement dissocié de sa productivité… dissociation dangereuse pour son emploi ;   Partiellement issu  d’obscures pyramides financières ( CADES, ACOSS  etc.) , il sait que le service public dont il est usager pourrait s’effondrer ; Par ailleurs Il ne voit plus  pourquoi il financerait par l’impôt, le service d’une dette qui gave la finance et aggrave son gigantisme. Jadis enchâssé dans le politique et les institutions de la nation, il se sent à la fois perdu et libéré et veut chaque jour se libérer davantage.

Ce temps de la finance gigantesque n’est évidemment qu’un étape dans l’histoire, et étape peut-être assez brève puisqu’elle n’est que la conséquence du refus de voir s’étioler le paradigme fordien . Un paradigme que l’on maintient artificiellement, avec des bulles qui ne peuvent qu’exploser. Et bulles successives, qui correspondent à un jeu d’acteurs prisonniers du  mythe de la « fin de l’histoire » : marché généralisé et démocratie représentative, sont vécus par tous comme des aboutissements indépassables. L’avenir est à imaginer, mais parce qu’il est interdit de penser, les hommes fabriquent des rustines, alors qu’il faudrait élaborer des stratégies de changement.

 

 

 

 

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13 juin 2011 1 13 /06 /juin /2011 12:16

 Le caractère disproportionné des activités financières mérite une explication.  le texte qui suit, tente d'exposer la logique d'une croissance sans limite, pour aboutir à l'idée selon laquelle elle n'est, en occident, que la manifestaion empirique , de la continuation d'un fordisme épuisé avec d'autres moyens. Et continuation faisant emerger la présente forme du politique, forme humble se cachant sous l'expression de simple "gouvernance" .l'argumentation donnera lieu à deux publications qui vont se succéder.

 

               

Ce qu’on appelle financiarisation est un processus de séparation, de mise à distance, ou d’éloignement vis à vis des contraintes de l’économie réelle. C’est que l’échange marchand, outil indispensable de la division du travail, reste dans une économie non financiarisée trop soumis aux contraintes du réel. L’investissement matériel,  assujetti  au processus de création de valeur ajoutée à partir de ces éléments très physiques que sont les équipements, les matières premières etc., est une répression temporaire de l’échange marchand : l’investisseur doit attendre, parfois très longtemps,  la création de valeur ajoutée avant  la mise sur le marché de ce qui est crée. Avec tous les risques associés à l’opération.

La titrisation généralisée du réel

De ce point de vue l’apparition, au 19ième siècle, des sociétés de capitaux  est une libération : il y a déconnexion  vis-à-vis de la réalité, et l’investissement, n’est plus l’anéantissement au moins temporaire de la liquidité. Déjà, à cette époque, la course à la liquidité comme jouissance potentielle, et ce sans réel engagement.

La division croissante  du travail va fonctionner de la même façon : la prise de conscience selon laquelle le coût du recours au marché peut - dans certaines conditions – devenir inférieur aux coûts de la hiérarchie, libère les processus d’externalisation et d’émiettement  de la production. Parfois jusqu’à l’infini : des entreprises responsables de marchandises, pourtant bien matérielles, ne produisent rien d’autre que de la coordination. Comme quoi il est possible de maitriser des actifs sans porter atteinte à la liquidité.

De ce point de vue, le « modèle  d’accumulation fordien », pour employer le langage de l’école dite de la régulation, n’est pas un progrès  en ce qu’il limite sérieusement l’échange marchand. C’est que le compromis institutionnel de l’époque, ou le mode d’appropriation de la contrainte publique, ne fait pas du salariat une marchandise complète : l’Etat-providence, approvisionné par des cotisations salariales, reste en surplomb, et assure une solidarité qui ne passe pas par l’échange marchand. C’est aussi que nombre d’entreprises sont possédées par des propriétaires prisonniers du capital investi, qui par conséquent sont éloignés de la liquidité. C’est enfin que nombre de processus industriels ne sont pas financiarisés, que par exemple, il faut mobiliser des fonds sur des stocks de matières premières qui ne sont pas encore ravalées au rang de simples « commodities » , le risque d’évolution des cours dans le futur pesant de tout son poids.

Mais ces échanges marchands du 19ième et du 20ième siècle, sont encore ancrés sur une marchandise bien physique. Certes ils s’affolent avec la division du travail, y compris bien sûr dans le Fordisme, mais ils se nouent à propos d’une marchandise souvent industrielle. L’échange marchand connait une hypertrophie par rapport à la production finale, mais il n’a pas encore pour support essentiel des titres financiers. L’objet de la présente note, n’est pas de revenir sur les causes de la financiarisation et le passage progressif de « l’accumulation fordienne » au modèle « Wall Street ». Il est simplement de repérer le gonflement de la sphère financière, gonflement jusqu’ici non remis en cause avec la crise, et les questions qui en résultent.

Le gonflement, allant jusqu’au gigantisme,  est dû à la titrisation généralisée de la réalité. Tritrisation pouvant mener à une multiplication à l’infinie de la sphère des échanges marchands .Et multiplication à l’infinie,  grandement facilitée par l’irruption des technologies informatiques : Il suffit de penser au Trading informatique à hautes fréquences. Cette titrisation ne se borne pas à celle des crédits hypothécaires américains et concerne l’ensemble du réel matériel. En ce sens, il s’agit d’une certaine façon de se débarrasser de la réalité qui n’aura plus à produire de la valeur ajoutée,  mais simplement de la valeur. Bien sûr, nombre d’entreprises furent titrisées en France par le processus de privatisation et l’irruption des fonds de pension. Mais la titrisation est aussi celle de la dette publique,  qui autorise cette autre irréalité qu’est la possibilité, pour un simple notateur privé, de déclencher une « attaque des marchés » contre les Etats. C’est aussi la titrisation de la protection sociale,  qui transforme les régimes de retraites en une infinité d’échanges de produits financiers, ou qui génère d’autres  produits financiers à partir des déficits de l’Assurance Maladie,  comme dans le cas de la CADES et de l’ACOSS. C’est aussi,  la titrisation plus connue de la plupart des crédits qu’il faut sans cesse évacuer des bilans : le crédit existe bel et bien, mais tout est fait pour qu’il soit réputé inexistant. C’est aussi,  la déréalisation des stocks les plus divers,  qui peuvent se transformer en une infinité de contrats sur des marchés à termes. Et dans ce dernier cas,  il ne s’agit même plus de déréaliser mais de faire disparaitre une activité économique. Il est même possible de déréaliser des revenus et par le jeu de la constitution d’une bulle, par exemple immobilière, de compenser  une stagnation des salaires résultant elle-même de la disparition du Fordisme. Les exemples pourraient être multipliés, et il y aurait sans doute à évoquer l’infinité des produits dérivés, eux-mêmes dérivés d’autres produits, voire indices, et indices d’indices etc. C’est que la titrisation peut elle-même être titrisée et ce, sans limite claire. Le processus d’explosion des échanges marchands dématérialisés s’est évidemment nourri d’ entreprises d’un genre nouveau, tels les Hedges Funds ou les fonds de Private-Equity, ou les fonds de fonds, etc.

Division du travail industriel et division du travail financier

L’explosion de la division du travail dans l’économie réelle,  avait déjà entrainé une explosion parallèle de la sphère des échanges. Il s’agissait toutefois de diviser  la production pour générer des gains de productivité : le « faire-faire » étant moins coûteux que le « faire ». Il est sans doute possible de se poser une question identique à propos du gigantisme financier : s’agit-il d’une division du travail générant le partage du risque,  comme il s’agissait de partager la production à l’époque du Fordisme ? Sur le théâtre pétrolier, la sphère des échanges strictement financiers, dont JM Chevalier affirme qu’elle est 35 fois plus importante que la sphère des échanges physiques, génère sans doute un partage des risques, chaque opérateur prenant simultanément une position et une couverture.  Sa profondeur  est censée sécuriser  l’accès au physique lui-même. Toutefois,  la question est de savoir s’il y a gain global de productivité, par exemple par réduction massive de coûts de stockage et des investissements correspondants. On ne trouve  pas de réponse, dans le rapport sur les causes de la volatilité des prix du pétrole remis par JM Chevalier au gouvernement en février 2010. Il est  toutefois  douteux qu’à l’échelle planétaire la titrisation des « commodities » ait entrainé une baisse générale des stocks, et le « Just In Time » industriel fût très probablement plus efficace. Il est moins douteux,  par contre, que le système soit aussi un terrain de jeu sur des paris concernant les prix, paris exceptionnellement protégés par des dispositions du code monétaire et financier (ordonnance 2009-15 du 8 janvier 2009 confirmant des textes plus anciens) en dérogation au code civil lui-même.

Le gigantisme financier, pouvait ainsi apparaître comme la suite logique de l’échange marchand généralisé - sans limite-  avec l’individualisme qui lui correspond : la fin du holisme est aussi le passage de la solidarité à la simple assurance  des risques, avec pour corollaire  les paiements sur paris, et le respect des dettes de jeu,  qui doivent devenir   juridiquement sur-protégés.

Logique, car résultant aussi de la montée des risques - et de leur couverture nécessaire – liés à la mondialisation exigée par certains acteurs, notamment ceux des entreprises économiques : liberté de circulation des capitaux, taux de change flexible, risques pays etc. Mais aussi montée des risques liés à d’autres facteurs, notamment la couverture assurantielle de ce qui n’est peut être pas assurable, par exemple  les catastrophes naturelles.

Logique aussi, car résultant des dogmes des théologiens universitaires consacrés à l’autorégulation des marchés, et à l’affectation efficiente des capitaux. Dogmes qui iront tous dans le sens d’une prise de risques accrus, notamment des leviers aux dimensions impressionnantes, puisque précisément la « science » enseigne qu’il n’y  a plus de risques... Et comme le risque se doit d’être divisé à l’infini pour devenir proche de Zéro, et que les coûts de transaction sont à peu près nuls, le gigantisme des échanges financiers peut se développer sans limite. Ce qui n’était pas le cas des échanges marchands industriels dont la division du travail ne peut sans cesse être accrue, les coûts de coordination finissant par l’emporter. Et le résultat est impressionnant,  puisque de façon très approximative une seule activité – la maitrise  du risque- a pu  engendrer jusqu’à 30 points de PIB dans les pays les plus financiarisés.

Ce gigantisme est dans les apparences un aboutissement rationnel, au fond  le destin logique de l’échange, dès lors que l’aventure humaine entrainât la transformation de l’institution du don holistique et solidariste,  en échange marchand qu’il faut assurer car toujours risqué. Et destin toujours confirmé par les réglementations et négociations de « l’après crise » tels le Dodd-Frank Act,  les nouvelles directives européennes, le Bâle 3, etc.

On peut toutefois se poser la question de savoir si cet aboutissement, n’est pas une pathologie, en ce que le système financier serait – selon l’expression d’Alain  Touraine - une « pièce qui se serait détachée du système social ».

Cohérence fordienne et incohérence financière.

L’idée de gonflement sans limite de la titrisation – donc de gigantisme-  est déjà une pathologie en ce sens qu’elle finit par être dépourvue de tout point de repère. Dans l’industrie fordienne, l’émiettement de la production n’entrainait pas le non repérage de la pièce élémentaire, laquelle faisait l’objet d’une consommation productive,  que l’on appelait consommation intermédiaire. Cette dernière était objective, mesurable, et devait donner lieu à traçabilité. Sa valeur marchande, sans doute soumise à davantage de subjectivité, ne connaissait qu’une faible variabilité. Il n’en est pas de même dans l’industrie financière, la pièce élémentaire disparaissant largement par des effets incessants de bouclage : la titrisation de titres déjà titrisés ne connaissant pas de limites, il est très difficile d’imaginer une quelconque traçabilité. Les 3 agences mondiales (Moody’s, Standard & Poor’s, et Fitch Ratings ) s’enracinant, immanquablement, dans la subjectivité pour noter les produits structurés. Il existe un grand écart entre la mesure de la qualité d’une pièce  industrielle et l’opinion d’une agence de notation concernant des  produits structurés. Grand écart lui-même conforté, entre  une valeur plus ou moins objective de la pièce industrielle, et celle soumise aux errances du mimétisme, et des foules noyées par des flots d’informations elles mêmes très subjectives, et qui  fonctionnent en boucles. Comme quoi la gigantesque construction se trouve dépourvue de fondations, d’où l’idée de « pièce détachée du système social ».

Mais il y a plus grave, car les échanges marchands dans le modèle fordien et dans celui qualifié de « Wall Street » ne sont pas de même nature. Dans le premier cas, il s’agit d’une division effective du travail aux fins d’élévation effective de la productivité. Dans le second, il s’agit d’une division, non pas pour partager le risque, mais bien plutôt pour le transférer. D’où la difficulté de mesurer le gain de productivité qui serait associé à l’échange. Il existe néanmoins un fait objectif : c’est bien le transfert du risque lui-même - résultant de la marchandisation de tous les actifs imaginables - qui a permis l’endettement croissant, et en retour une valorisation accrue des patrimoines, autorisant une croissance continue de la consommation. Plus brutalement exprimé, si dans le fordisme les gains de productivités pouvaient être redistribués, et donnaient naissance à ce qu’on a appelé les « trente glorieuses », c’est l’endettement croissant, qui tient lieu de gain de productivité dans le modèle « Wall  Street ». C’est le processus de titrisation généralisée, qui a permis la mondialisation, comme la société de capitaux au 19ième siècle a facilité la révolution industrielle. Mais si la révolution industrielle a pu déboucher sur le fordisme, évidemment avec le recours des marchés politiques, la mondialisation n’a pas encore débouché, ou ne pourra pas déboucher sur un fordisme mondial, le fonctionnement des marchés politiques, s’enracinant  encore sur des bases étatiques nationales.

Au niveau des Etats, l’utilisation de la contrainte publique à des fins privées, a donné lieu à un nouveau type de fonctionnement, largement favorable aux entrepreneurs de la finance, et interdisant la vieille redistribution des gains de productivité. L’entreprise mondiale titrisée, fragilisée dans son corps en raison de la titrisation possible de chacune de ses parties, obéissant à de nouvelles normes comptables,  elles-mêmes mises en place dans le cadre d’une adéquation avec la titrisation généralisée, n’a plus à redistribuer aux salariés les gains de productivité. La mondialisation (concurrence) comme les actionnaires  (nouvelle gouvernance) sont  d’ailleurs là pour lui interdire.  Si l’entreprise fordienne générait des débouchés par redistribution des gains de productivité, l’entreprise titrisée laisse la place à la finance pour assurer, par un endettement croissant, les débouchés dont elle a besoin. Pour être juste, la mondialisation qui s’est servie de la titrisation généralisée,  assure aussi un « revenu supplémentaire » résultant du prix bas des marchandises importées … mais qui tuent le fordisme ancien. Comme quoi la titrisation généralisée, avec tout ce qu’elle implique, notamment la liberté de circulation du capital, est cause essentielle de la désindustrialisation des anciens pays fordiens.

La croissance était ainsi - pour l’essentiel -  non plus tirée par les gains de productivité, mais par un  endettement croissant reposant sur le transfert généralisé du risque, et impulsant un effet d’enrichissement. Le lecteur retrouve ici la logique des « subprimes »- pour le meilleur et finalement le pire -  aux USA, avec ces « clones européens », et notamment l’Espagne ou l’Irlande.

Alors que le fordisme était un accord - utilisant certes  largement  la contrainte publique -  mais qui restait relativement cohérent, c'est-à-dire pouvant « faire société », le modèle « Wall Street » est fondamentalement un compromis boiteux,  ne pouvant déboucher sur aucune cohérence sociale.

Cohérence pour le fordisme,  en ce sens que les conflits d’intérêt sont largement arbitrés par les entreprises politiques,  qui elles même sont légitimées par le succès : intégration du plus grand nombre, « moyennisation » de la société et « containment » des conflits, croissance très élevée etc. Quelque chose comme l’idéologie d’un intérêt général pouvait se développer.

Incohérence pour  le modèle « Wall Street », qui ne pouvait réellement arbitrer les conflits d’intérêts,  et ne proposait que des  fuites en avant appelées  d’abord « effet d’enrichissement » et ensuite «  bulles »… de plus en plus nombreuses et de plus en plus gigantesques. Bulles suralimentées par de la dette, qui nourrissait elle-même, et continue de nourrir – plus massivement aujourd’hui - une rente dévoreuse, excluant tout compromis arbitré par les entreprises politiques, elles mêmes saignées par la dite rente. Les produits politiques (dépenses budgétaires) étant affectés de façon croissante au service de la dette publique, imprudemment titrisée depuis trente années, les entrepreneurs politiques deviennent  ainsi massivement délégitimés, car devenus  incapables de promulguer l’idéologie d’un intérêt général. Il suffit bien sûr de penser à la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, etc.

L’expression d’Alain Touraine - « Pièce détachée du système social » est sans doute maladroite - la finance fonctionnant davantage comme prédation - elle reste néanmoins juste, en ce qu’elle exprime cette idée d’incohérence. Et incohérence à priori non réductible puisque le gigantisme n’est nullement menacé malgré la crise. Partout dans le monde occidental la dette s’accroit et des trous plus petits se rebouchent avec d’autres plus grands que l’on creuse dans la hâte. La tragédie grecque et ses multiples rebondissements n’étant que l’ouverture d’un mouvement appelé à devenir mimétique.

L’essence du gigantisme reposait sur la volonté de se débarrasser de la réalité : l’épuisante « valeur ajoutée » pouvant se transformer en engendrement magique et sans limite de « valeur » ; les dures réalités de l’ordre matériel de l’ingénieur pouvant se sublimer dans la magie des algorithmes financiers ; et les limites des revenus du travail pouvant se réduire devant l’immensité automatique des gains à l’échange du « High Frequency Trading ». Il est  difficile d’imaginer la disparition de la réalité, un objet qui refaisant surface viendra dégonfler la finance. Nous verrons toutefois que la volonté de se débarrasser de la réalité est une affaire plus complexe qu’il n’y parait, probablement la résultante involontaire d’un jeu d’acteurs volontaires : les entrepreneurs économiques d’une part, et les entrepreneurs politiques d’autre part. Jeu d’acteurs qui sera plus précisément étudié dans une seconde partie.

 

 

 

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9 février 2011 3 09 /02 /février /2011 13:36

      

L’examen de l’histoire nous a permis de repérer les caractéristiques des 2  grandes modalités de gestion de la dette publique, avec en particulier le passage d’un mode à l’autre.

L’évolution de cette structure appelée « Etat », structure animée par des « entrepreneurs politiques », et analysée au niveau du présent Blog dans l’article : « Pour mieux comprendre la crise : déchiffrer l’essence de l’Etat », est fondamentale pour comprendre le passage d’un mode à l’autre. Globalement, c’est le passage des formes primitives de l’Etat vers les premières formes de respect du droit des gens, des droits de propriété, voire de la démocratie, qui explique le passage de la prédation pure, aux premières formes du mode marché de la dette publique. La naissance des banques centrales, relativement indépendante dans le cas anglais (1694), ou moins indépendante dans le cas français (1800), est conséquence des premières formes d’affermissement de l’Etat de droit. Et ces naissances vont faciliter en retour, le développement du mode marché de la dette.

Mode marché de la dette publique : un éclairage nouveau

Prêteurs (bourgeoisie rentière) et emprunteurs (entrepreneurs politiques), après des siècles d’apprentissage plus ou moins réussis, vont constituer un premier marché de la dette publique, marché rapidement important, car mutuellement devenu très avantageux.

Pour les rentiers, il est plus avantageux que celui de la dette privée, pour au moins deux raisons. Le débiteur public bénéficie d’une vie perpétuelle, car nous savons que « l’extériorité » devenue avec le temps « Etat », est un point fixe de toute société. En cela, il est à priori plus sécurisant qu’un débiteur privé, toujours mortel. Ensuite, et il s’agit d’une conséquence du statut de point fixe, les rentiers voient dans le marché de la dette publique, une profondeur et une liquidité incomparables. Cela signifie que le marché secondaire de la dette publique, est beaucoup plus important et beaucoup plus sécurisant que les  marchés financiers privés. Notons que cette remarque, évidente à une époque où le capitalisme n’est que naissant, reste globalement vraie aujourd’hui. En particulier le marché de la dette publique américaine, est aujourd’hui le plus important du monde, et sa profondeur et sa liquidité extrêmes, garantissent encore de beaux jours à un dollar par ailleurs vilipendé.

Pour les entrepreneurs politiques, le mode marché est sans doute plus coûteux que la prédation simple et violente de jadis, et les « gains à l’échange » -si l’on ose dire- plus modestes. Ils sont pourtant réels, et ce pour les mêmes raisons que celles recensées chez les rentiers. Statut « d’extériorité » en dehors du droit commun, mais commençant à respecter les droits de propriété, et donc le commerce des promesses – ce qu’on appelait la « foi publique » - il peut bénéficier d’une « bonne notation », pour employer le langage d’aujourd’hui. Il peut même offrir des garanties que nul ne peut offrir : s’engager contractuellement à accroître ses ressources, par exercice de la violence sur d’autres acteurs de la société, en augmentant les impôts. Cette garantie de ressources, est encore mise en avant par certains Etats  aujourd’hui, notamment les Etats américains que l’on dit fort endettés, et qui par cette clause, peuvent obtenir sur le marché, des prix avantageux. Par ailleurs, ce même statut donne profondeur et liquidité, et donc là aussi des prix avantageux. Et ces mêmes caractéristiques : profondeur et liquidité, procurent  une grande souplesse sur les volumes, lorsque les besoins du Trésor s’accroissent.

Cette performance  du mode marché de gestion de la dette publique, fût très vite constatée, et a permis des prouesses dans des situations difficiles. Certains historiens expliquent ainsi, que l’indépendance de la Banque centrale anglaise, et le mode marché de gestion de la dette, a permis au Trésor britannique de massivement s’endetter pour, au final, vaincre Napoléon sur  les champs de bataille de l’Europe.

Si le mode marché est mutuellement avantageux pour les raisons sus évoquées, il se caractérise aussi, par de fortes externalités  liées au statut très  spécifique des entrepreneurs politiques. La théorie économique, dans sa version la plus Autrichienne, nous explique que les marchés ne fonctionnent correctement que si les agents supportent intégralement le coût de leurs actions. D’où sa très grande sensibilité au respect intégral des droits fondamentaux, en particulier la propriété. S’agissant du marché de la dette publique, les rentiers supportent sans doute le coût de leurs actions et vont prêter, jusqu’au moment où les avantages attendus, seront rejoints par le coût d’opportunité correspondant. Tel n’est pas le cas des entrepreneurs politiques, qui peuvent reporter les coûts sur la collectivité : ils ne paient pas les intérêts et ne vont pas rembourser le capital. A terme, ils ne paieront pas non plus le coût de ce report de charges sur le marché politique. C’est que les charges de l’emprunt- concrètement la fiscalité-  sont très largement socialisées et rendues peu visibles, alors que les avantages, peuvent être mis en avant et rendus visibles, pour telle ou telle catégorie d’électeurs: constructions d’infrastructures, écoles, hôpitaux, etc.  Electeurs qui par ailleurs, expriment une demande forte, pour laquelle  ils souhaitent voir la charge reportée sur autrui, y compris sur des agents qui ne sont pas nés.

Cette externalisation des coûts, inhérente au marché politique, devient abyssale en démocratie libérale, lorsque les entrepreneurs politiques peuvent, de par la loi, se reproduire comme entrepreneurs politiques, par non limitation du nombre de mandats dans le temps. Ce que les politologues appellent « l’hyper professionnalisation des hommes politiques ».

Au total, il existe une tendance fondamentale à ce que le mode marché de la gestion de la dette s’impose, et que la dette elle-même connaisse un accroissement continu de son volume. Accroissement du reste bien vu des rentiers, qui peuvent négocier le cas échéant avec les entrepreneurs politiques, un programme de baisse de la pression fiscale ou/et d’augmentation des dépenses publiques…aux fins du gonflement du volume de la rente… dont ils sont les bénéficiaires. Le mode marché de la gestion de la dette publique, peut ainsi surplomber  de forts antagonismes entre classes sociales. De quoi présenter, le très académique théorème de l’équivalence ricardienne, d’une toute autre façon…

Mais l’examen de l’histoire envisagée dans les deux publications précédentes, a aussi permis de constater qu’il n’était pas aisé de passer d’un mode de gestion à un autre. Ainsi ce n’est que  lorsque le mode marché est devenu complètement  impraticable, que l’on est passé au mode hiérarchique. Et pour cela, il a fallu un événement de grande ampleur : la guerre totale. Entre temps, on essaie, le plus longtemps  possible, de préserver le mode antérieur, historiquement en rognant de plus en plus sur l’indépendance d’une banque, qui se fera de plus en plus obéissante, le mode hiérarchique étant en partie fait de monétisation.

Il est intéressant de s’interroger sur la présente situation, en la comparant à la fin du mode marché à partir des années 1920. L’événement de grande ampleur, qui aujourd’hui remplace la guerre, est la crise financière. C’est elle qui vient d’entrainer – par contagion - une insolvabilité radicale de nombreux Etats, insolvabilité au moins aussi radicale  que celle constatée durant les deux guerres mondiales. La crise d’insolvabilité, comme la guerre, n’a rien d’un accident, et se trouve être la conséquence non attendue, de choix  qui se sont noués sur les marchés politiques : fin du fordisme en difficulté, et fuite vers la mondialisation, avec les outils juridiques de régulation financière qui doivent l’accompagner ( cf. « La grande crise : les 8 fondamentaux pour conclure »).

Aisance du déploiement du mode hiérarchique d’hier.

La comparaison s’arrête pourtant très vite, et il très risqué d’affirmer que la solution au problème d’aujourd’hui, passera par le déploiement du mode hiérarchique, comme ce fût le cas en 1945. Il est en effet d’une très grande banalité, de dire que le monde des années 2010, est fort différent de ce qu’il était en 1945, et qu’à ce titre les solutions d’un Conseil National de la Résistance (CNR) paraissent peu adaptées.

Au sens Hayekien des termes, le monde du milieu du 20ième siècle, était encore un « ordre organisé ». Il est aujourd’hui bien davantage un « ordre spontané », et ce même si cet ordre nouveau, s’est construit à partir du fonctionnement des marchés politiques, fonctionnement qui a engendré un processus de déconstruction  de « l’ordre organisé ». Ce que nous appelions dans « Pour mieux comprendre la crise : déchiffrer l’essence de l’Etat », le stade historique du « démantèlement de l’Etat de droit ». Période qu’Habermas appelle temps de « la perte du pouvoir d’achat du bulletin de vote ».

Lorsqu’en effet, dans les années 20, puis plus brutalement en 1945, on passe au mode hiérarchique de gestion de la dette, l’acceptation des nouvelles contraintes est grande. Les règles coercitives en matière financière, ne seront que faiblement contestées en raison du holisme ambiant : il existe encore une idéologie de l’intérêt général, et une conception sacrificielle de l’ordre social. Il s’agit en effet de défendre la patrie, puis de reconstruire et moderniser. A titre d’exemple, le poids que devait prendre le Conseil National du Crédit à partir de 1946, mais surtout sa composition faite de tous les acteurs de la reconstruction, révèle clairement la dominante « ordre organisé », de la société française. Sans doute le marché politique existe-t-il, et sans doute fonctionne t’il aussi sur la base d’intérêts économiques antagonistes, il se déploie toutefois dans l’idéologie communautaire d’un intérêt général à construire. Le système financier, lui-même beaucoup plus faible en raison de la faible bancarisation, n’a guère les moyens de s’opposer à la stricte séparation des compartiments bancaires, à la rigueur des planchers de bons du Trésor, et à l’extrême surveillance du respect de leurs niveaux, au laminage de la rente par la vague inflationniste, etc. La construction du  gigantesque « circuit du trésor » décrit précédemment,  est lui-même révélateur de cette ambiance de holisme, qui fait que le marché est évacué, et avec lui le souci de la dette publique. Point n’est besoin d’une agence de la dette, puisque ce qui est perdu par le compartiment budgétaire (des dépenses publiques considérables) est récupéré – avec extrême autorité - par le compartiment monétaire (une banque centrale obéissante qui monétise, et un système bancaire, qui écume l’excès de dépenses publiques par les planchers de bons du trésor). La création monétaire est dans ces conditions parfaitement contrôlée : c’est le Trésor qui ordonne à la banque centrale l’essentiel de la création monétaire, le système bancaire, ne jouissant que d’un « multiplicateur du crédit » très réduit, en raison d’un taux de conversion en billets très élevé à l’époque, et du taux lui-même élevé, des planchers de bons du trésor.

Difficultés de déploiement du mode hiérarchique aujourd’hui

La situation est aujourd’hui très différente, et la « grande transformation » à la Polanyi, est presque achevée, avec une société qui est presque devenue une société de marché, le point fixe- « l’extériorité » disions-nous - n’étant plus idéologiquement l’Etat, mais « la main invisible » d’Adam Smith. La crise du fordisme aidant, des entrepreneurs économiques- pas nécessairement majoritaires- ont acheté législativement à des entrepreneurs politiques – qui étaient de moins en moins d’anciens résistants, modernisateurs du pays, et de plus en plus des énarques fascinés par l’entreprise, voire des avocats d’affaires – une franchise de péages, dans ce qui faisait les contraintes de « l’ordre organisé », mais qui en assuraient probablement  sa cohérence. Furent ainsi achetés des franchises fiscales, douanières, tarifaires, sociales, etc. le coût des franchises octroyées, étant lui-même en cohérence avec la déconstruction de l’ancien « ordre organisé ». En effet, la demande économique étant devenue mondiale, les conséquences des franchises en termes de diminution de la demande locale ou nationale, deviennent dépourvues d’intérêt. Et ces mêmes conséquences en termes de dette publique, deviennent une aubaine pour l’industrie de l’épargne, qui puise sa matière première dans l’activisme de l’Agence France Trésor. Plus récemment, la pression sur la nécessaire déconstruction de « l’ordre organisé » s’est accentuée, avec l’apparition d’un nouveau système technologique, marqué par l’affaissement des activités à rendements décroissants (industrie mécanique par exemple), au profit d’activités à rendements croissants (informatique). C’est que la passage à des coûts marginaux nuls, suppose tout de suite une tendance au monopole ( Microsoft, Google, etc.) sur  un marché mondial, qui  doit idéalement être le plus lisse possible, donc assez bien dépourvu « d’ordres organisés ».

Curieusement , cette exacerbation de la « grande transformation », rappelle la chute de Rome ou mieux le féodalisme. L’Etat est contesté par de nouveaux barbares,  qui conquérants  dans l’espace des marchés,  jouissent d’une grande autonomie par rapport au suzerain distributeur de privilèges. D’où  l’idée « d’Etat de droit oligarchique » chère à Jacques Rancière. L’achat de privilèges ou de franchises de péages,  ne vaut pas nécessairement diminution de prestations aux profits d’autres clients du marché politique. Ainsi, l’habitude fût prise - mondialisation oblige -  de reporter sur l’Etat une partie du coût de la reproduction de la force de travail : diminution des charges sociales, prestations de solidarité sur le chômage, RMI, aides diverses sur le logement, etc. Rappelons que l’âge démocratique ou oligarchique de l’Etat, ne transforme pas son essence, il est simplement une structure de marché, où la prédation est généralisée : « tout le monde peut voler tout le monde ». Avec la difficulté pour les entrepreneurs politiques, de donner du sens aux décisions prises, puisqu’il n’y a plus d’objectifs, qui naguère, n’étaient que les conséquences attendues d’une idéologie rassembleuse. D’où la mise en avant du pragmatisme et du technicisme , les décisions cessant- dans le monde des apparences - d’être des choix, et résultants plus simplement de l’évidence de «  faits qui s’imposent », l’exemple le plus récent étant le débat sur les retraites en France.   

Les marchés politiques continuant de fonctionner malgré l’irruption des nouveaux barbares, la déconstruction de « l’ordre organisé », correspond davantage  à sa déformation, plutôt qu’à sa liquidation tant redoutée. Les entrepreneurs politiques préférant tirer les ficelles d’un ordre disloqué, plutôt que devoir réduire ce carburant du pouvoir, qu’est l’offre de produits politiques. La déformation est du reste probablement plus forte en France que partout ailleurs, car l’offre de produits politiques, dépend aussi d’une demande qui ici, en raison de la forte prégnance de la valeur « égalité » chez les  français, plébiscite le maintien d’un Etat providence musclé. Cette déformation, se repère notamment, au travers du prisme de la dette publique dans son mode marché. Les déficits publics étaient lourds bien avant le transfert sur les Etats de la crise financière, et résultaient de la déformation de « l’ordre organisé » : les achats de franchises de péages, détruisent la cohérence, et à la rupture de la croissance de la demande économique, va correspondre la forte croissance de l’offre de titres de dettes publiques, bien évidemment sur le mode marché. Et ce qu’on appelle « dette sociale »,  gérée discrètement par la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale (CADES) est le signe  le plus évident - après la dynamique Agence France Trésor, fière de fêter ses 10 ans d’existence (8 février 2001)… et du doublement de son « chiffre d’affaires » - de cette déformation, devenue considérable, de « l’ordre organisé ».        

Mais à la déformation de « l’ordre organisé » global, succède- crise de la dette publique oblige- une considérable déformation du marché de la dette, avec effet de boucle sur l’ordre global.

Cette déformation résulte du fait, que le coût du passage au mode hiérarchique, apparait démesurément élevé. Il était peu coûteux  dans les années 20, et surtout en 1945, de passer du mode marché au mode hiérarchique. Le chemin inverse apparait aujourd’hui hors de portée. Pour ne prendre qu’un exemple, on pourrait imaginer- et certaines entreprises politiques dites populistes en rêvent- de rétablir un puissant circuit du trésor, rendant inutile les agences offreuses de dettes, qu’elles ne peuvent plus commercialiser, dans des conditions raisonnables pour le contribuable. La solution est donc le rétablissement des planchers de bons du Trésor. Plus de peur, voire de panique, derrière les écrans où se lisent les résultats des adjudications ; plus de risque d’inflation du cours des CDS ; plus de peur de la notation ; et possible relâchement de pression budgétaire. Sauf que les banques, désormais dans un « ordre spontané », quittent un territoire, sur lequel elles étaient solidement fixées dans « l’ordre organisé » de 1945. Sauf que les épargnants – probables victimes de la répression financière - achèteront sous d’autres cieux leurs contrats d’assurance-vie,  ce qui était impensable en 1945. Sauf que, plus globalement le pays se livrant à pareil acte, serait mis à l’index par la communauté des oligarques, ce qui n’était évidemment pas pensable en 1945.   La seule idée de fin de la banque universelle, au profit du rétablissement de la séparation des activités, est assortie de menaces des nouveaux barbares conquérants. C’est le cas de Barclays et de HSBC, qui menacent le gouvernement anglais de délocalisation en Asie…avec un argument du type intérêt général : le report des pertes éventuelles du compartiment « affaires » sur les résultats de la banque de dépôts…Mieux, le récent Davos a pu mettre en évidence les menaces directes et indirectes, des oligarques au regard de régulateurs trop pressants : plus de régulation se paiera de plus de « coulisse » et donc de risques systémiques  dira un grand banquier ; publier la liste des établissements systémiquement importants, revient à diminuer les activités de crédit, déclarera le représentant de l’Institut International de la Finance ; etc.

En attendant….le mode marché jusqu’aux limites extrêmes du possible….la monétisation.

Le risque d’explosion du mode marché de gestion de la dette restant croissant, et ne pouvant pas passer au mode hiérarchique , il convient alors d’élargir sans cesse la tuyauterie du mode marché , parfois de la mettre au repos, tel un pontage coronarien, ou d’y adjoindre une prothèse type stimulateur cardiaque, ou de reprofiler le « design » de la dette…. et surtout de restreindre les fuites du circuit du Trésor, donc de déformer encore un peu plus « l’ordre organisé ».

Elargir la tuyauterie, c’est par exemple la création du Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF), fonds déjà insuffisant, et dont le périmètre devrait selon le souhait de certains, atteindre les 15OO milliards d’euros pour devenir réellement efficace. La mettre au repos, c’est par exemple l’interruption momentanée d’un marché national de la dette publique ( Irlande, Grèce…) devenu impraticable en raison des prix constatés, avec branchement direct sur un oxygénateur : le FESF . Et oxygénateur qui ne fait que reporter le problème, car il faut bien lui-même le brancher sur d’autres marchés. Reprofiler le « design », c’est par exemple cacher la dette dans un produit structuré, type « Euro Medium Term Notes », ou c’est – sans doute vainement –  prêter pour racheter sa propre dette (problématique du « ouzo² » en Grèce), ou mieux encore négocier son rééchelonnement ou son prix. Adjoindre une prothèse, c’est par exemple actionner  l’oxygénateur ultime, qu’est ce prêteur en dernier ressort  appelé FED ou  BCE. Ainsi chaque fois que les prix deviennent insupportables sur le marché de la dette, on a vu la BCE intervenir massivement…en marge de ses propres règles…pour aussi, il est vrai, soulager les actifs bancaires lourdement chargés de dettes publiques, proches de la démonétisation. Et soulagement nécessaire, car les banques doivent continuer à acheter de la dette nouvelle, à peine d’explosion du mode marché. Il faut aussi soulager l’environnement de la tuyauterie, car le monde des marchés n’est pas simple, et il faut savoir penser aux détails : ainsi réfléchit-on sérieusement aux USA, à ce que les versions modernes des « Clearing House » puissent  –risques de contreparties obligent -  accéder aux guichets de la FED. C’est que la fermeture d’un circuit du Trésor, facile à imaginer dans « un ordre organisé », devient casse tête dans un ordre marchand en crise grave. Toutes ces solutions, et d’autres encore qui seront issues de l’imagination de ceux, qui dans les ministères des finances, et surtout à Bruxelles, ou à Washington, continuent encore de croire en la possibilité de maintenir le mode marché, sont  insuffisantes. Il faut donc agir en parallèle avec le rétrécissement des fuites : nous avons là la question de la rigueur budgétaire, d’abord au niveau national, et aujourd’hui en Europe à un niveau plus élevé. Ce qu’étrangement on appelle : « semestre européen ».

Mais là aussi, il est inutile d’insister, la situation est connue, et son caractère gravissime rend l’insolvabilité, radicale pour une grande majorité d’Etats européens : malgré la rigueur aujourd’hui, ou les « pactes de compétitivité » demain, l’endettement ne fait que croître, non pas pour une majorité, mais pour tous les pays européens. Nous avons déjà mentionné dans ce Blog, qu’aucun pays- y compris l’Allemagne- ne répondait à l’équation de stabilisation de la dette publique (cf : Crise financière et renouvellement de l’offre politique ».)

Dans ce même Blog, au-delà de l’article précité, nous avons, sous d’autres termes, souvent abordé la question du passage au mode hiérarchique : « Monnaie, recherche désespérément souverain sérieux », « l’Epuisement des entrepreneurs politiques », « l’Equilibre extérieur comme produit politique émergent »,etc. Et nous en avons souligné son coût, essentiellement parce que « l’ordre organisé » du 20ième siècle s’est largement évanoui. Avec les valeurs qu’il fécondait dans le cerveau des acteurs : la croyance en un avenir collectif. Avenir disparu, puisque le marché est un monde sans agenda, pour des individus englués dans le présent.

Cela signifie que le mode marché sera probablement conservé jusqu’à l’extrême  limite de ses possibilités : l’oxygénateur des banques centrales, donc le quantitative easing et la monétisation massive, à prix réduits, constituent l’horizon indépassable, de ceux qui connaissent le prix du passage au mode hiérarchique, dans un monde devenu société de marché. Comprenons que même le retour d’un seul et unique petit pays au mode hiérarchique, aurait un effet de boomerang gigantesque. Ainsi selon la BRI, l’exposition des banques françaises sur la seule dette grecques représente 3,1% du PIB de la France, ce qui signifierait l’effondrement complet du système financier Français.

 La monétisation quasi gratuite, par la banque centrale elle-même, est donc –sauf accident lourd obligeant en urgence le passage au mode hiérarchique avec des moyens brutaux, déjà imaginés dans « crise financière et renouvellement de l’offre politique » - un « second best » du point de vue de la plupart des acteurs importants. Et donc un « second  best » susceptible de séduire l’électeur médian.

Les nouveaux barbares des marchés, la jugeront préférable à la saisie, à la nationalisation, à la restructuration, voire même une régulation tatillonne. Les entrepreneurs politiques pourront mettre en avant l’idée d’un maintien relatif du champ des services publics. Les salariés y verront le maintien sous perfusion d’un Etat providence, à périmètre  plus ou moins réduit, car de plus en plus marchandisé. Et les rentiers intelligents comprendront qu’il vaut mieux perdre un peu, voire beaucoup – c'est-à-dire renouer avec la répression financière du 20ième siècle -  que de risquer, comme leurs ancêtres, la ruine complète.

Evidemment il ne s’agit que d’un « second best », qui plus est, précaire, puisqu’au delà de la menace inflationniste, il développe une base monétaire surdimensionnée, matière première de bulles périodiques. Au-delà, et malheureusement, il nous est difficile d’aller plus loin dans une démarche prospective appuyée sur l’Histoire, et « nul ne peut sauter par-dessus son temps ». Ou mieux encore, selon le proverbe turc repris par Edgar Morin : « les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui naîtra ».

 

                        

 

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31 janvier 2011 1 31 /01 /janvier /2011 06:47

 

 

Nous publions ci-dessous la seconde partie de notre voyage dans l’histoire, et ce aux fins de bénéficier du décentrement nécessaire, à la bonne compréhension des événements monétaires et financiers qui accablent le monde.

                Partie 2    La dette : entre le mode hiérarchique  et le mode marché.

L’article du 6 janvier 2011 introduisait déjà les apports de Ronald Coase  pour étudier les  modalités possibles de la gestion de la dette. Lorsque la Banque centrale est  sous l’autorité hiérarchique du Trésor, il peut en être de même de la dette pour laquelle  volume et  prix sont possiblement politiquement décidés. A l’inverse lorsque la Banque centrale est indépendante, la dette éventuelle ne peut –être  qu’externalisée et passe par la mobilisation du marché.

Selon le langage Coasien le choix de la hiérarchie ou du marché est lui-même affaire de prix : coût d’utilisation du mécanisme de l’autorité, à comparer au coût d’utilisation du mécanisme du marché. Sauf qu’ici, à l’inverse de l’entreprise, seule à décider, de ce qui doit être internalisé et de ce qui doit être externalisé, le Trésor, et le pouvoir politique qui l’active, se trouvent dans une situation globale fort complexe. Les entrepreneurs politiques se devant de repérer les choix  dominants – voire les croyances - de groupes de sujets ou citoyens nombreux, groupes numériquement inégaux, groupes disposant d’un inégal accès à l’information ou d’un pouvoir inégal de sa manipulation, et groupes aux intérêts fondamentalement divergents … et parfois contradictoires à l’intérieur d’un même groupe. C’est que chaque sujet ou citoyen, se trouve en effet à l’intersection de nombreux  groupes d’appartenance : épargnant, salarié ou dirigeant  dans  telle ou telle branche professionnelle, contribuable, etc. A cette complexité il faut aussi ajouter que l’alternative « autorité/marché » dans la gestion de la dette, n’est qu’un choix politique parmi tant d’autres produits politiques à commercialiser auprès des sujets ou citoyens. Et parmi ces innombrables produits, existent des produits, eux-mêmes additions de produits politiques, qui fixent le périmètre  de la dette : le niveau de  pression fiscale d’une part, et le volume des dépenses publiques d’autre part. En sorte qu’il est très difficile d’établir une théorie fine  -  à la Coase par conséquent -  des choix politiques concernant la gestion de la dette. D’où la conclusion qu’au fond ce sont de grandes   ruptures historiques, ruptures relevant probablement de la théorie de la complexité ou du chaos,  qui permettent  d’expliquer les grands choix en matière de la gestion de la dette : choix anglais, après la révolution de 1688, avec création d’une banque centrale indépendante (1694), une  dette publique cotée en bourse (1720) et les célèbres « consols » à 3% ; choix français, avec plusieurs ruptures ( 1789 et la « foi publique », 1945 et l’Etat tout puissant, 1973 et le libéralisme) ; choix allemand,  après la grande inflation qui fait suite à la première guerre mondiale. D’autres exemples pourraient être envisagés. Celui de la France, intéressant en ce qu’il présente plusieurs ruptures , sera ici plus particulièrement envisagé.

Une  préférence bien affirmée pour le mode marché.

Le  pouvoir qui se met en place en 1789 trouve  sa légitimité, par rupture avec ce qu’il croit être les turpitudes de l’ancien régime : la dette publique, souvent victime d’un « haircut » sous la monarchie, sera verbalement sacralisée. Tels sont les termes du décret du 13 juillet 1789 : « l’assemblée, interprète  de la nation…déclare que la dette publique ayant été mise sous la garde de l’honneur et de la loyauté française….nul pouvoir n’a le droit de prononcer l’infâme mot de banqueroute, nul pouvoir n’a le droit de manquer à la foi publique sous quelque forme et dénomination que ce puisse être ». Et il s’agit bien d’une simple déclaration verbale, puisque quelques années plus tard, le déluge des assignats devra consacrer la « mobilisation de la dette » (le paiement des arrérages n’est plus assuré) et plus encore la « banqueroute des deux/tiers » (30 septembre 1797). Pour autant, la naissance de la banque centrale étudiée en partie 1 du présent texte, révèle la volonté politique de s’approcher du système anglais, pour lequel le recours au marché semblait bien fonctionner, et devait même magnifiquement fonctionner, notamment pendant la période napoléonienne, où l’effort militaire se paiera par émission de « consols », jusqu’à 228% du PIB britannique. Les entrepreneurs politiques français  ( 2 empereurs, 3 rois et les dirigeants de la troisième république naissante) seront soucieux d’en revenir à la « foi publique », en utilisant aussi largement que possible les mécanismes du marché. Sans doute la banque centrale fonctionne t’elle en hiérarchie, mais -comme indiqué dans notre première partie, même si l’Etat a la main lourde - les apparences de l’indépendance sont mises en avant, avec notamment la fiction de conventions libres entre gouverneurs et ministres des finances.

 Pour le reste, il y a bien utilisation des mécanismes du marché et ce jusqu’en 1914. Et ce mécanisme est d’abord celui de la rente publique en tant qu’obligation perpétuelle, constamment  liquide, grâce notamment, à la Bourse de Paris. Sur l’ensemble du 19ième siècle, son volume s’accroit, pour représenter environ la moitié de l’épargne nationale, et concerner près de 3 millions de ménages en 1914. Au-delà de fluctuations impulsées par les grands évènements du siècle (doublement de la dette publique après les cent jours, révolution de 1848, guerre de 1870) et de quelques crises financières, dont le krach de 1882, le taux est régulièrement décroissant, et rejoint progressivement celui des « consols » britanniques. Le bon fonctionnement du marché de la dette, est assuré par-quelques règles simples, qui existaient déjà dans nombre de pays européens: contrôle du parlement sur les budgets et déficit maitrisé, défiscalisation des rentes sur l’Etat (au moins jusqu’en 1850), faible régulation financière, et banque centrale apparemment indépendante.

Il y a bien maitrise du déficit public, ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas, puisque sur la période 1816 – 1899 on ne comptera que 7 années excédentaires. Et ce déficit est « demandé par le marché » puisque sa contrepartie, la rente défiscalisée depuis une loi du 22 frimaire de l’an 7, constitue une  partie non négligeable de la fortune de la bourgeoisie française, voire de l’ancienne noblesse, qui reçoit avec la restauration, un milliard de francs de rente au titre des réparations. Et cette demande est d’autant plus forte, que l’option de remboursement par anticipation, au pair, ferait disparaitre la rente en cas d’excédent, entrainant lui-même une baisse des taux. Il faut en effet comprendre que si le taux du marché devient inférieur au  taux d’émission, les fonctionnaires de la Direction du Mouvement Général des Fonds (DMGF) - l’équivalent du ministère des finances aujourd’hui - utilisaient cette option désavantageuse pour le rentier. La classe des rentiers dans son ensemble avait donc intérêt à un déficit ni trop important (pour risque de banqueroute) ni trop faible (pour limitation excessive de la rente). La grande bourgeoisie notamment parisienne – groupe social politiquement déterminant - déléguait ainsi aux entrepreneurs politiques de l’époque, la bonne gestion de ses affaires.

Il y a aussi, au-delà de l’incitation fiscale, bonne souplesse de la régulation financière. L’ordre des agents de change créé en 1723, pour notamment empêcher les ventes fictives d’effets publics visant à en faire baisser le prix, ne dispose pas d’un monopole réel, et un « shadow banking » devient avec ce qu’on appelle la « coulisse », une instance de transactions plus importante que la bourse officielle, avec déjà une cotation en continu.  Le marché à terme qui s’y développe est, lorsqu’il s’agit de vente à découvert, considéré par Bonaparte comme malveillance envers l’Etat. Pour autant, ce dernier est trop préoccupé par l’idée de « foi publique » pour l’interdire. Ultérieurement, les articles 421 et 422 du code pénal interdisant la spéculation sur effets publics seront de moins en moins en usage, tandis que la loi du 28 mars 1885 viendra interdire « l’exception de jeu », afin de donner aux contrats financiers une  garantie de bonne exécution des engagements. En clair, l’Etat est présent pour assurer la bonne liquidité de la dette publique. Exactement comme aujourd’hui, avec l’agence France Trésor et les autorités de régulation, qui n’ont d’autre objectif que d’assurer le bon fonctionnement des marchés.

Sans doute existe-t-il quelques freins au « tout marché » de la gestion de la dette. Ainsi, la création de la Caisse des Dépôts et Consignation , relève plutôt d’une gestion sur le mode hiérarchique, puisqu’il lui est imposé d’employer les fonds qu’elle reçoit en titres de la dette publique. Injonction plus grave encore à partir de 1837, avec les fonds de caisses d’épargne, et surtout 1881 avec la création de la Caisse Nationale d’Epargne. Il est vrai qu’à cette époque, la dette s’est considérablement accrue, avec l’obligation de verser le ¼ du PIB à l’Allemagne, au titre de la libération du territoire. Sans doute sommes nous déjà dans la stratégie du « circuit du Trésor », et le passage partiel au hors marché de la dette. Toutefois la période, sauf en ce qui concerne la banque de France, est globalement « libérale » et ressemble assez bien au vécu d’aujourd’hui.

La grande marche vers un mode hiérarchique de la gestion de la dette.

Inutile de reprendre dans le détail les transformations des rapports entre banque de France et Trésor, rapports déjà examinés dans le présent texte, sous le titre « des banquiers centraux écrasés », et transformations qui vont concerner la période 1914- 1973.

Il faut toutefois bien comprendre que le passage au mode hiérarchique, signifie de fait la fin de la « foi publique » et la promotion des idéologies collectives sur le thème de la « planche à billets ». Cela signifie des turbulences dans le fonctionnement des marchés politiques, et la mise en cause de la rente comme construction politique se cachant derrière le marché. D’où la possible résistance du banquier central, que l’on doit écraser. Ainsi lorsque les conventions - fictives disions nous - sont mal respectées par l’Etat, ce qui sera le cas avec le cartel des gauches et le « mur de l’argent », le banquier central, juste assimilé au rang de simple préfet, pourra prendre appui sur « l’opinion publique » pour réagir. Ainsi dans les années 20, le gouverneur Robineau et les régents se disent choqués par l’attitude du Trésor, le même gouverneur pouvant prendre appui sur l’opinion publique, et déclarer imprudemment, qu’il « préfère se couper le poignet que de signer un nouveau billet ». Curieusement les entrepreneurs politiques au pouvoir (cabinet Herriot par exemple entre 1924 et 1925) comprennent les remontrances des régents, et se déclarent farouchement opposés à la monétisation de la dette publique…monétisation dont ils sont les promoteurs obligés…

Face aux courants d’opinion, le passage au mode hiérarchique de la gestion de la dette, devra  se faire par contournements, et par emprunts de chemins nouveaux qu’il faut mettre en place. L’abandon du mode marché de gestion de la dette étant politiquement impossible, il sera, parallèlement à une monétisation massive, mené une politique de réactivation du marché. D’abord par une politique de diversification des produits, comme les bons de la défense nationale. Ensuite par une politique de lancement d’émetteurs extérieurs, correspondants du Trésor, comme le Crédit National en 1919. Il s’agit là d’une pièce importante du futur « circuit du trésor ». De fait ces émetteurs nouveaux, servent à élargir le marché de la dette publique, et correspondent à une tentative de privatisation, les bons émis par ses émetteurs, n’étant que des succédanés de bons du Trésor. Egalement, les entrepreneurs politiques au pouvoir, chercheront à rassurer le marché par création d’une caisse d’amortissement de la dette (1926). Mais le point central, sera la recherche de l’appui du système bancaire, que les fonctionnaires  du Mouvement Général des Fonds vont organiser, voire acheter  (avantages fiscaux, commissions sur placements) pour inonder le pays de bons du Trésor. Et face au risque de lobby financier, qui se monte souvent sous la bannière du Crédit Lyonnais, les entrepreneurs politiques disposent d’une arme redoutable : le réescompte des bons auprès de la Banque de France que son gouverneur (M Moret) est tenu d’accepter, malgré la monétisation déguisée, que ce dernier croit percevoir dans une telle démarche. Comme si aujourd’hui, monsieur Trichet - sous les ordres des entrepreneurs politiques européens- achetait sans limitation,  la dette publique  sommeillant dans les bilans bancaires, afin de réduire à zéro les spreads de taux chez les PIGS. Ce réescompte, deviendra loi organique du 24 juillet 1936, laquelle stipule que « tous les effets de la dette flottante émis par le Trésor Public et venant à échéance dans un délai de 3 mois maximum sont admis sans limitation au réescompte de l’Institut d’émission, sauf au profit du Trésor public ». Un nouveau chemin de monétisation est ainsi découvert, un chemin entre le mode marché et le mode hiérarchique.

Après la seconde guerre mondiale : un mode hiérarchique jusqu’à l’étouffement.

Tout d’abord la liquidité du trésor sera assurée par la promotion du « circuit » avec la multiplication des correspondants du Trésor. Déjà, depuis le Consulat, existait des acteurs financiers qui disposaient obligatoirement d’un compte auprès du Trésor Public, compte interdit de découvert, et donc compte contribuant à la liquidité du trésor. Ce dispositif, sans équivalent dans le monde, sera renforcé avec notamment l’article 15 de la loi organique du 2 janvier 1959.

Mais ce dispositif n’est efficace que pour le roulement de la dette flottante. Il faudra par conséquent, au-delà du mode hiérarchique, sur une banque centrale désormais nationalisée, étendre le même mode sur l’ensemble du système bancaire, afin de ponctionner une épargne, que le marché ne dirige plus spontanément vers la rente comme au 19ième siècle. C’est ainsi que sous l’autorité du Conseil National du Crédit -crée dans le cadre de la  loi du 2 décembre 1945, portant sur la nationalisation de la banque centrale et des 4 banques les plus importantes du pays – un système de planchers de bons du Trésor est institué. Concrètement, un pourcentage des exigibilités  bancaires (25% en 1948)  est converti en bons du Trésor. Il s’agit bien cette fois d’un mode de gestion hiérarchique de la dette publique, et ce d’autant que le taux est administré. Prix et quantités sont ainsi hors marché. A cela il faut ajouter que la surveillance est extrême, et qu’il ne saurait être question de frauder : le contrôle de la contrainte d’achat de bons est mensuel  en 1948, et deviendra quotidien en 1951. Il n’est donc pas question d’échapper à la fermeture du circuit et, la dette publique apportant des liquidités sur les comptes des bénéficiaires de la dépense, est réintroduite dans les ressources. Seule la bancarisation, qui devait suivre dans les années 60, permettra d’alléger la contrainte en raison de son rendement croissant, mais, il est vrai aussi, en raison de la relative extinction de la dette. C’est ainsi que le taux d’affectation des exigibilités en bons du Trésor, va progressivement diminuer, pout disparaitre en janvier 1967… et laisser la place au système des réserves obligatoires, qui seront d’une toute autre nature : la dette publique n’existe plus et une nouvelle histoire va commencer. Mais auparavant, puisque des fuites sont toujours possibles, la spéculation est étroitement contenue, et une fixation autoritaire du calendrier et du volume des émissions sur le marché financier, est confirmée par la loi du 23 décembre 1946. Le Trésor devient ainsi tout puissant. Et toute puissance qui va apparaitre dans les chiffres : en 1955 le Trésor est ainsi le premier collecteur de fonds, avec 695 milliards de francs contre seulement 617 milliards pour le secteur bancaire. Le « circuit du trésor », de par son très large périmètre, en vient ainsi à étouffer les marchés financiers.

Ultérieurement, le libéralisme montant critiquera le considérable effet d’éviction, dont le Trésor s’avère responsable et, une autre histoire – plus connue - va émerger pour progressivement constituer la réalité d’aujourd’hui, c'est-à-dire le retour au mode marché de la gestion de la dette, mode marché désormais en pleine crise….comme dans les années 20.

Les  conclusions  de cet examen des faits sur longue période seront examinées dans une prochaine publication.

 

 

 

 

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19 janvier 2011 3 19 /01 /janvier /2011 10:20

La gestion future de la grande crise passera aussi - à n’en pas douter-  par des modifications dans le fonctionnement financier des Etats et des banques centrales. A cet égard, il n’est pas inutile de se pencher avec précision sur les modalités historiques du fonctionnement et des rapports que ces 2 entités ont entretenus depuis le début du 19ième siècle, notamment  depuis la division  des activités financières de  l’Etat , en deux compartiments : le Trésor d’une part, et la Banque centrale d’autre part. En France, cette division  va intervenir progressivement, avec un texte – qui n’est pas une loi- en date du 18 janvier 1800,  et  portant création de la Banque de France. C’est cette division que nous retiendrons, pour la présentation de cette très instructive histoire. D’où les deux parties suivantes publiées séparément :

1         «  La Banque de France : des propriétaires le plus souvent expropriés » ; et  2  « La dette : entre l’autorité et le marché »

Partie 1- La Banque de France : des propriétaires le plus souvent expropriés.

Bonaparte ne conçoit pas la banque de France, comme la banque d’Angleterre créée en 1694, laquelle fût d’abord conçue pour  interdire à  l’exécutif la gestion de la dette publique. Ainsi, la Banque de France, sera dès sa naissance, une entité privée, fortement soumise aux injonctions publiques. D’où l’expression ambigüe de Bonaparte : « La Banque de France doit être entre les mains du gouvernement et n’y être pas trop ». Entité privée, au statut peu ordinaire,  puisque simple association de droit privé, rapidement encadrée par une loi (loi du 14 Avril 1803) qui fixe dans le détail, les gestes des actionnaires, et va jusqu’à préciser les rémunérations de ces derniers. Par son caractère invasif, la loi sus - visée, est de fait, déjà la nationalisation d’une banque… qui reste néanmoins  privée… Sans doute s’agit-il déjà d’une délégation de service public, puisque le même texte accorde un privilège d’émission pour une durée de 15 ans.

Des banquiers centraux souvent forts malmenés ….

Tout au long du 19 siècle et jusqu’à la loi de nationalisation de 1945, les droits de propriété des actionnaires seront amputés, et ce de façon croissante. Ainsi, la loi du 22 Avril 1806 réservera à l’empereur , le pouvoir de désignation du gouverneur et de ses deux suppléants. Une autre loi, celle du 16 juillet 1908, ne comporte pas moins de 63 articles, lesquels  encadrent complètement l’activité de la Banque. D’autres lois- très nombreuses (25 mars 1817, 4 juillet 1820, etc. )- feront bénéficier l’Etat d’une partie des profits mis en réserve par la Banque. Ces restrictions de liberté s’aggraveront bien évidemment pendant les crises (1848, 1970). Si la banque émet de la monnaie, le pouvoir monétaire est entièrement aux mains de l’Etat, lequel fixe à intervalles réguliers, le volume d’émission (plusieurs dizaines de lois concernent le sujet). L’émission est elle-même taxée selon des procédures complexes, ce qui revient à dire que l’Etat est fiscalement intéressé à la croissance monétaire. Comme si la création monétaire aujourd’hui, création résultant du crédit bancaire, donnait lieu à une taxation directe. La question étant alors de savoir quel monde fonctionne à l’envers : celui d’aujourd’hui, ou celui d’hier ?

Dès le milieu du 19ième siècle, la prédation de l’Etat- donc des entrepreneurs politiques- sur les profits de la banque se fait lourde. C’est ainsi que le « traité du 3 mars 1852 » décide du rééchelonnement de la dette de l’Etat envers la banque, et d’une baisse autoritaire du taux de l’intérêt. A partir du « Traité du 10 juin 1957 », les taux des avances seront obligatoirement inférieurs au taux d’escompte. Comme si l’Agence France Trésor d’aujourd’hui,  pouvait- le plus simplement du monde- imposer aux banques, les volumes et les prix de la dette publique.

Le même texte, celui du 10 juin 1057, fait officiellement naître le compte du trésor au bilan de la banque de France.

Après la catastrophe militaire de 1870, la Banque sera déjà durement sollicitée, et les lois vont se multiplier, pour selon un savoureux langage : « autoriser des avances faites à l’Etat ». On est déjà dans les premières phases de la monétisation de la dette, avec un rituel juridique qui va se faire de plus en plus précis : le ministre des finances signe une convention avec le gouverneur, convention autorisée par une loi. Déjà, à la fin du siècle, le gouverneur devient un personnage de simple représentation, et on voit mal comment  il pourrait refuser de signer des conventions, avec ce qui est une vraie autorité de tutelle. A l’extrême fin du siècle, les « avances  autorisées » deviennent gratuites (sans intérêts). C’est ce que précise l’article 6 de la loi du 17 novembre 1997, qui stipule que : « les anciennes avances portant intérêt cessent de l’être ». De la même façon, ces avances jouiront d’une maturité croissante, puisque la même loi, prévoit que : « la Banque ne pourra réclamer le remboursement de tout ou partie de ces avances pendant toute la durée de son privilège » lequel porte sur une durée de 23 ans. Et à Chaque  nouvelle loi,  de nouvelles avances seront prévues à titre gratuit.

Toujours en cette fin de siècle, l’Etat se fait encore plus invasif, et décide que la vente de bons du Trésor auprès du public- vente aussi assurée par les services de la Banque- se fera gratuitement. Tandis que le même Etat, est de plus en plus exigeant sur les profits d’escompte qu’il se met à « partager » avec la banque. Comme si à cette époque, l’adage selon lequel les profits seraient privatisés et les pertes socialisées, était renversé. Mieux, les conquêtes coloniales étant coûteuses, le décret du 22 février 1899 donne une nouvelle mission- à cette banque que les actionnaires ne dirigent plus depuis bien longtemps- celle d’effectuer des avances sur effets publics les plus divers,  y compris ceux émis par le gouvernement général de l’indo-chine.

Des banquiers centraux écrasés….

Si l’histoire du 19ième siècle est celle d’une dépossession progressive des actionnaires par le prédateur public, les choses s’aggraveront considérablement au 20ième siècle, jusqu’à la loi de nationalisation en 1945.

Anticipant la guerre mondiale, une première convention, en date du 11 novembre 1911, prévoit une avance de précaution, avec pour garantie, un seul bon du trésor à l’échéance du 31 décembre 1920. Curieusement, l’avance n’est pas gratuite : 1%. Toutefois, comme elle vient gonfler la masse monétaire, le rendement de la taxe de circulation de la monnaie émise augmente également, ce qui nous renvoie à la quasi gratuité de l’endettement. Cette convention de 1911 est la première d’une très longue série (plusieurs dizaines) portant sur des montants élevés (3 milliards de Francs pour chacune d’elles). La convention du 26 octobre 1917 ira plus loin, et -outre la monétisation massive- l’Etat exigera sa part de profit dans les bons du trésor escomptés, et surtout 85% du profit sur bons achetés par les gouvernements étrangers….en sorte que même l’endettement international devient peu coûteux  pour l’Etat. Il est vrai que -de fait insolvable- la banque réalise de substantiels profits. Situation qui n’est pas sans rappeler le système bancaire d’aujourd’hui- largement insolvable- et néanmoins distributeur de généreux revenus.

L’après guerre, voit s’ouvrir la longue période des « amortissements fantôme » de la dette de l’Etat vis-à-vis de la banque : le premier remboursant, sans intérêt, la seconde, à partir d’avances nouvelles nettement supérieures au remboursement. Ainsi pour ne donner qu’un exemple, l’article 3 de  la convention du 29 décembre 1920, en application d’une convention cadre antérieure, prévoit un remboursement annuel de 2 milliards de francs chaque année et , dit le texte : « en conséquence le montant des avances autorisées sera chaque 31 décembre réduit d’une somme de 2 milliards ». Et promesse qui ne pourra être tenue, tant la situation de la trésorerie est grave. D’où de nouvelles conventions, comme celle du 21 décembre 1922 - et de plusieurs autres - qui stipulent qu’ « à titre exceptionnel » le montant des remboursements sera réduit.

Les propriétaires de la Banque, continueront à n’être que simples spectateurs- intéressés certes- d’une histoire qui n’est point la leur, jusqu’au moment de la nationalisation. Entre temps, il faut préparer une nouvelle guerre, et à titre préventif, comme le précise la convention du 29 septembre 1938, la banque met à la disposition du Trésor la somme de 25 milliards contre des bons à 1%. Avec le déclenchement de la guerre, l’Etat exigera la session d’une partie de l’or de la banque (convention du 25 février 1940) . Entre le déclenchement des hostilités, et la libération, ce n’est pas moins de 25 conventions, soit en moyenne une chaque 70 jours, qui vont porter les avances, sans intérêt cette fois, à 411 milliards de francs. La banque, et ses propriétaires, seront remboursés en monnaie fondante, la dépréciation monétaire annuelle moyenne se fixant à environ 45% entre 1945 et 1949.

D’une certaine façon, la loi de nationalisation du 2 décembre 1945 apporte de la clarification : la banque de France était de fait publique depuis sa naissance, elle le devient en  droit le 1-1-1946, juridiquement un établissement public administratif. Les anciens propriétaires étaient de fait expropriés dès la naissance de la banque. Les nouveaux- idéologiquement le peuple souverain- seront de vrais propriétaires…. jusqu’à leur propre éviction, lorsque la banque deviendra d’abord indépendante, pour intégrer ultérieurement l’euro-système. Mais curieusement, nouveaux, et vrais propriétaires, qui vont maintenir la fiction d’une « indépendance » de la Banque. Ainsi le mode opératoire va demeurer, avec à chaque fois un double texte : convention entre ministre des finances et gouverneur, elle-même « autorisée » par un texte relevant de l’exécutif (décret) ou du législatif (loi). Comme si la convention, était d’essence contractuelle, entre institutions libres de leur destin. Comme si le gouverneur était autre chose qu’un simple préfet soumis à l’exécutif.

Au cours de cette période, la banque reste évidemment banque du Trésor, mais plus encore, l’Etat l’utilise largement dans la construction de ce que l’on pourrait appeler « les infrastructures du Fordisme  naissant ». C’est ainsi que le décret du 13 juin 1962 autorise la banque à effectuer des avances sur les obligations, les bons, et les parts de production émis avec la garantie de l’Etat, au profit d’EDF, GDF et Charbonnages de France. D’autres nombreux textes élargiront cette possibilité, au profit d’une foule d’organismes : Départements, communes, chambres de commerce, ports autonomes (3 août 1963) ; Sociétés de Développement Régional (23 juillet 1964) ; Caisse Nationale des Autoroutes (29 octobre 1965) ; Caisse Centrale de Crédit Hôtelier et Commercial (22 décembre 1965) ; Caisse d’Aide à l’Equipement des Collectivités Locales (24 janvier 1968) ; etc. Faits intéressants, puisque désormais, les investissements publics correspondants se font sans prélèvement de rente : si la banque réalise des profits sur les investissements publics, ils sont empochés par le propriétaire public.

……Mais des banquiers centraux libérés.

La situation va progressivement se détériorer avec l’indépendance officielle de la Banque de France. L’évolution des marchés politiques, développera l’inscription législative de  la fin de la monétisation, et le retour de la rente financière qui lui est associée. D’où la loi du 3 janvier 1973, qui va dans son article 25, arrêter la dite  monétisation : « Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la banque de France ». Mais loi qui n’interdit pas encore- dans son article 19- le jeu des avances et prêts qui assurent la liquidité du Trésor. Article toutefois de précaution, car de fait, la banque de France cessera d’être la Banque de L’Etat, et ne restera qu’instrument technique de bonne circulation de ses flux, avec un compte du Trésor à son bilan, de fait de plus en plus semblable, aux comptes des banques ordinaires qu’elle porte également. Il faudra attendre la loi du 12 mai 1998, loi modifiant les statuts de la banque, pour voir le propriétaire public, renoncer aux droits qui lui sont traditionnellement associés. C’est ainsi que le texte précise que le gouverneur et les sous gouverneurs : « ne peuvent ni solliciter ni accepter d’instructions du gouvernement ou de tout autre personne ». Comme si une assemblée générale d’entreprise, renonçait à tout contrôle de l’activité des managers. Et le texte ira plus loin, puisque son article 5 stipule : « qu’il est interdit à la Banque de France d’autoriser des découverts ou d’accorder tout autre type de crédit au Trésor public ou à tout autre organisme ou entreprise publics ». Et : « l’acquisition directe par la banque de titres de leurs dettes est également interdite » précisera le texte. Comme s’il était interdit, à un actionnaire de banque, d’obtenir un prêt en provenance de l’  établissement, dont il est en partie ou totalement propriétaire. Le propriétaire de la banque de France dans sa nouvelle version - idéologiquement le peuple souverain- devient ainsi davantage exproprié que les « deux cents familles » de l’époque napoléonienne.

C’est que la nouvelle Banque de France devient un objet juridique fort particulier, et ce n’est pas parce que l’article L-142-1 du code monétaire et financier, stipule que : « la banque de France est une institution dont le capital appartient à l’Etat », et que par ailleurs son gouverneur est nommé par décret, qu’elle reste- réellement- sous le droit français. D’où son classement dans la catégorie des « sui generis », ce qui signifie que la dite institution, est redevable de textes entièrement spécifiques. La nomination du dirigeant, devient l’inverse d’une mise sous tutelle, inverse dûment acté dans le texte de nomination ; le dirigeant, lui-même s’obligeant à : « rechercher impartialement l’intérêt général à long terme ». Et ces particularités devaient être confirmées et précisées, dans une décision du Conseil d’Etat en date du 22mars 2000 : « L’Etat ne peut en rien contrôler ni orienter l’action de la Banque de France, dans l’exercice des missions qu’elle accomplit, à raison de sa participation au système européen des banques centrales ».

Effectivement, l’entrepreneur politique au pouvoir, est désormais, avec radicalité, exproprié. Avec cette différence que si les « 200 familles » du 19ième siècle furent expropriées, l’entrepreneur politique au pouvoir, à l’extrême fin du 20ième siècle s’est lui-même exproprié. En quelque sorte l’expropriateur s’est volontairement exproprié. Mais cette auto-expropriation, n’est évidemment pas la fin du politique, et le renoncement, à l’utilisation des outils de la contrainte publique, à des fins privées. La « libération » des banquiers centraux, s’est faite au nom d’une loi, qui comme toute loi, déplace du bien être d’un groupe social vers un autre groupe, ici entre les rentiers et les autres acteurs, en particulier les contribuables.

 Derrière ce vaste mouvement de l’histoire des banquiers centraux français, se cache une réalité, elle aussi politique : la gestion de la dette publique, dont on verra qu’elle oscille entre 2 modes opératoires, celui  du « règlement » ou celui du « marché ». Question qui sera traitée dans une prochaine publication.

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2 décembre 2010 4 02 /12 /décembre /2010 09:44

                                            

 Les images du bateau, et des passagers clandestins, évoquées dans « l’euro : sursaut ou implosion » se voulaient révélatrices de la réalité de la monnaie unique. Les passagers clandestins étaient les Etats eux-mêmes, et des Etats – puisque passagers clandestins- peu soucieux d’une stratégie de coopération. Le  bateau était lui-même le symbole de la monnaie, et une monnaie sans autre pilote qu’un fonctionnaire indépendant, voire en état d’apesanteur, et surtout dépourvu de gouvernail : la banque centrale est en effet indépendante et son rôle n’est que de maintenir le navire à flot, et ce, sans même lui assigner une direction.

Jadis, le pilote était l’Etat lui - même, et les passagers avaient le statut d’usagers d’un service monétaire largement soumis au caprice du prince. Bref la monnaie avait un maître, et il est vrai, souvent autoritaire, et peu scrupuleux, appelé souverain. En sorte qu’il était exact que « battre monnaie était un attribut de la souveraineté ». Et souvent avec la violence du souverain : seigneuriage, dilution, assignats, « banqueroute des deux-tiers », inflation, etc. (cf. : « la crise : scénario pour 2010 »)

Le fonctionnement des marchés politique en Europe, et leur histoire, devait pourtant  aboutir à une « grande transformation » à la Polanyi : puisque « l’extériorité » qui tient les hommes ensemble peut devenir le marché, lequel rend faussement et magiquement obsolète l’Etat, alors il est possible d’engendrer une monnaie sans Etat et donc sans souverain : l’Euro était né.

Bien sûr, le bateau des passagers clandestins ne connaissait point de port- bateau aussi habité par des passagers  voulant s’offrir à bon compte une « monnaie de réserve à l’américaine » (cf « l’euro :sursaut ou implosion »)- et  pouvait rencontrer quelques hauts fonds, susceptibles de le faire chavirer : nous y sommes.

La grande crise était constitutive de ces hauts fonds, et de ce point de vue, elle ne fait qu’enclencher ou aggraver une crise monétaire, inscrite dans les gènes de la monnaie unique. Curieusement, c’est cette rencontre avec les hauts fonds, qui semble engendrer une course impossible de la « grande transformation à l’envers ». C’est qu’en effet, les entrepreneurs politiques européens, aussi passagers clandestins, semblent vouloir ancrer le navire vers une extériorité, qui ne peut être qu’un souverain …dont on ne veut surtout pas...

C’est tout le sens qu’il faut donner, aux diverses rustines qui s’accumulent sur les flancs du navire, ayant eu à affronter les diverses convulsions des passagers : le Grec, l’Irlandais, etc.

Un premier pas dans la grande transformation à l’envers

Ainsi, une première extériorité que l’on peut appeler machine à fabriquer des rustines, fût mise en place dans le cadre d’un partenariat : Le Fonds Européen de Stabilité Financière. Evidemment, cette institution basée au Luxembourg, est bien une extériorité, mais elle ne saurait être un souverain. Elle n’est même pas une union de transferts budgétaire, constitutive d’une caisse d’aide aux passagers, qui veulent rester clandestins.

Elle n’est qu’une abstraction, seulement susceptible de lever des fonds, au profit des passagers clandestins, invités à davantage de coopération. Et levées de fonds garantis, par la garantie des autres passagers, lesquels refusent de devenir responsables solidairement   de façon illimitée. Ainsi la loi du 7 juin 2010, votée au parlement français, expose l’Etat correspondant,  dans la limite supérieure de 111 milliards d’euros. Les fonds levés, ne sont pas ceux des souverains, ne sont pas de la dette souveraine, et la responsabilité des souverains cautionneurs de dette est limitée, très exactement comme dans le cas de sociétés commerciales privées. Et cette machine, initiée par la crise grecque du printemps 2010, se devait d’être légère, à peine d’entrer en délicatesse avec la clause de « no bail out » de l’article 125 du traité, lequel veille au principe de non solidarité financière entre les souverains. Principe instituant, ou autorisant de fait, le caractère de passager clandestin pour chaque signataire du traité.

Parce que la machine à fabriquer des rustines, ne peut  remettre le bateau à flot que fort temporairement, en raison du fait qu’elle participe à l’engendrement de nouvelles dettes, qu’il faut pourtant faire disparaitre, son usage est promis à bel avenir. Clairement, le stock de dettes à l’échelle planétaire ne fait qu’augmenter, et le risque de nouveaux subprimes – de nouveaux hauts fonds - ne fait que se multiplier partout dans le monde. C’est que le Fonds Européen de Stabilité Financière est aussi une machine, parmi d’autres dans le monde, à fabriquer de la nouvelle dette s’appuyant sur la garantie d’Etats insolvables : quelle espérance de mobilisation de la participation française (111 milliards d’euros) en cas de défaut grec par exemple, sachant que cette garantie représente environ 40% des recettes 2011 de l’Etat Français ? Espérance d’autant plus réduite, que si un tel défaut devait se manifester, le dit Etat serait anéanti dans sa course à sauver les banques françaises, elles mêmes vitrifiées par le défaut grec, pour lequel elles sont si exposées : près de 0,3% du total des actifs bancaires , d’après l’étude de la Deutsche Bank en date du 26/11/2010…soit beaucoup plus que les capitaux propres…

Une autre étape de la grande transformation à l’envers

Le bel avenir de la machine à fabriquer des rustines est déjà écrit, avec fort gonflement de ses activités liées au secours, d’abord  du passager irlandais, qui maintient malgré toutes les pressions et protestations, son jeu non coopératif en matière fiscale, ensuite des passagers portugais, espagnol, et sans doute d’autres encore. La taille de la machine pouvant augmenter en raison des convulsions à venir, cela signifiera de nouvelles garanties de la part des grands Etats insolvables.

L’accroissement de la taille, ne la transformera pourtant pas en nouvelle extériorité jouissant de la puissance d’un réel souverain monétaire. Sans doute l’aide du Fonds Européen de Stabilité Monétaire est-elle assortie de pressions sur les passagers afin de réduire leur clandestinité, toutefois   les dites pressions ne les conduisent pas vers des stratégies coopératives. C’est que le remède est uniformément déflationniste : réduction des déficits budgétaires gonflés par la crise financière, par diminution des dépenses publiques et, parfois augmentation de la pression fiscale. La purge déflationniste de chacun des passagers malades, entrainant une contagion, ankylosant  le niveau d’activité du groupe, pris dans son ensemble.

Mieux le danger guette, et les clandestins peuvent se dire intéressés par leur assujettissement au bourreau déflationniste : il fait mal certes, mais peut être moins que si l’on restait victime du spread sur dettes souveraines. Si en effet les taux offerts par le fonds de stabilité, sont moins élevés que ceux offerts dans un marché en ébullition, il devient ainsi intéressant de se placer sous la houlette de l’Europe, le bourreau y étant peut-être moins cruel. C’est très exactement la question qui s’est déjà posée- le dimanche 28 novembre 2010 à Bruxelles- pour le passager irlandais à qui il fallait proposer un taux élevé (5,8%), taux sans doute irréaliste pour le malheureux passager clandestin, mais en même temps, peut- être trop faible, pour dissuader les passagers portugais et espagnol qui connaissent, ou vont connaitre, des taux marginaux d’endettement sur les marchés supérieurs à 5,8%. Cela signifierait qu’il y aurait, avec la machine à fabriquer des rustines, une possibilité supplémentaire pour gagner un peu de temps. En contrepartie, cela signifierait aussi que le Fonds Européen de Stabilité Financière serait pollué - avec des taux simultanément trop élevés et trop faibles - dans son action, par des effets pervers non initialement prévus. Le fonds « victime des marchés », alors qu’il devait constituer une extériorité, sur laquelle il eut été possible de s’appuyer.

Grande transformation à l’envers : une nouvelle étape.

Et les choses ne s’amélioreront guère en 2013 avec le futur mécanisme européen de stabilisation, lequel ne sera toujours pas une extériorité, comme le souverain de jadis l’était.

A priori, il traduira dans la rigueur du droit, un début de modification du rapport de forces sur les marchés politiques européens. Chez nombre de clandestins, il devient de plus en plus difficile pour les entrepreneurs politiques, de justifier le point de vue d’une finance et d’une rente, qui a pour contrepartie la relative disparition, des Etats providence construits autour du pacte politique des «  30 glorieuses ». Le cas de l’Irlande - qui pourtant n’avait pas connu la période en question - est à cet égard particulièrement éclairant : dans « l’accord » qui vient d’être proposé aux entrepreneurs politiques au pouvoir, il est expressément prévu, que le fonds irlandais de réserve des retraites, sera à hauteur de 15 milliards d’euros, mobilisé pour sauver les banques. La finance se nourrit ainsi fort directement dans le garde-manger, de ce qui est réellement des salaires indirects. L’approfondissement d’un tel modèle devenant politiquement ingérable, les entrepreneurs au pouvoir, sont désormais invités par les marchés politiques, à restaurer un minimum de souveraineté monétaire.

C’est tout le sens qu’il faut donner aux « clauses d’actions collectives », qui devraient commencer à s’introduire à partir du 1er juillet 2013, dans les contrats d’émissions de dettes souveraines. Et clauses souhaitées par l’entrepreneur au pouvoir à Berlin. Sur le fonds, un tel mécanisme, s’il devait être mis en place, est un début du partage du désastre engendré par la crise : finance et rentes, correspondantes seront mises à contribution, par le biais d’un défaut désormais négocié. Sur les marchés politiques, cela correspondra assez probablement, à l’achat de voix chez des contribuables invités à financer moins de rente, contre une perte probable de voix chez les épargnants.

Pour autant, il ne s’agit encore que d’un projet, projet pouvant à chaque instant être balayé par la violence de la crise. Un tel mécanisme est en effet lourd, complexe, et probablement non exempt de dangers. Il pose de vraies questions : les taux ne vont-ils pas incorporer le risque de défaut résultant de la disparition de l’aléa moral ?  Vont-ils faire disparaitre les spreads ? Ne vont-ils pas précipiter la panique, chez ceux qui voyaient dans la dette des clandestins, un placement particulièrement sûr ? Quel statut donner à la dette souscrite par des résidents ? Etc. Mais surtout, la renégociation elle-même se trouve extrêmement complexe, en raison de l’extrême imbrication des dettes, et des risques associés avec le principal d’entre-eux : la possible pérennisation d’un effet domino. C’est qu’il serait imprudent, de considérer que les externalités développées par un défaut irlandais, serait du même type que ceux d’un pays émergent.

Autant de questions qui justifient la grande instabilité des marchés en cette fin d’automne 2010. D’où d’autres voies à explorer.

Grande transformation à l’envers : d’autres difficiles étapes.

On pourrait maintenant imaginer, que la conjonction de la pression des marchés, associée à la résistance croissante des salariés, inviterait les entrepreneurs politiques européens à bousculer le champ institutionnel, au profit de la création d’une extériorité plus solide : un véritable Trésor européen en charge de l’émission de bons du trésor européen. L’affaire serait  redoutable, puisque les marchés politiques de chacun des passagers de l’euro, seraient amenés à réduire le périmètre de leurs activités, et donc le « carburant du pouvoir ». Il y aurait effectivement bouleversement du champ institutionnel, avec renégociation d’un nouveau traité, permettant notamment à l’union européenne, de percevoir des impôts de masse, type TVA, et de s’endetter, ce qui est aujourd’hui juridiquement impossible.

Reposant sur un PIB de 9000 milliards d’euros pour la seule zone euro, l’ensemble bénéficierait en première approximation, d’une puissance d’endettement considérable. De quoi imaginer la présence d’un vrai souverain, pour une monnaie jusqu’ici sans maitre.

Pour autant, cette transformation à l’envers, faisant naitre un nouveau souverain, est aujourd’hui encore difficile à envisager. Les fonctionnements des marchés politiques interne à chaque pays, d’une part, et entre les pays de l’euro zone , d’autre part, ne peuvent que s’y opposer.

Au niveau interne, donc au niveau de chacun des passagers, la naissance d’un embryon d’Etat européen, vaut  réduction des marchés politiques  internes. Ainsi qu’il vient d’être énoncé, le basculement d’une partie de la fiscalité interne, est réducteur du périmètre des activités des entrepreneurs politiques locaux. Et face à cette perte collective du « carburant du pouvoir », le risque est d’assister à la cartellisation des grandes entreprises politiques, aux fins de résister au projet. Pour éviter le processus de cartellisation négative, il faudrait que les avantages politiques d’une dette devenue européenne, surcompense les désavantages de la montée en puissance de cette nouvelle extériorité, que serait l’Etat européen embryonnaire.

En admettant même que l’analyse coût avantage soit indécise, quant à ses résultats au niveau interne (au niveau de chacun des passagers), la même analyse- menée au niveau externe- conduit plus probablement au refus de la naissance d’un souverain européen. Car la collectivisation de la dette, en faisant disparaitre les spreads, aboutit nécessairement à la fixation d’un taux d’intérêt unique, défavorable au passager le plus important : l’Allemagne. La qualité de la dette européenne devenant inférieure à la qualité de la dette allemande seule. Il y aurait donc un spread de taux, sur la dette européenne, par rapport à la dette allemande d’aujourd’hui. D’où, ici, la cartellisation des entreprises politiques allemandes, en vue d’opposer un front du refus.

Décidément, le chemin de la grande transformation à l’envers dans le but d’accrocher l’euro à un souverain, est parsemé d’embûches…

Resterait à envisager un autre chemin pour envisager la grande transformation à l’envers. Puisqu’il est très difficile de faire naître un souverain pour l’euro, peut être serait-il possible de faire au moins disparaître ce pouvoir indépendant qu’est celui de la BCE.

Dans la présente situation, le dispositif institutionnel du système européen de banques centrales, a pour effet, de contenir le périmètre de la clandestinité des passagers. La BCE ne peut en effet favoriser tel ou tel passager en achetant directement sa dette, geste qui lui est juridiquement interdit. Elle ne peut pas non plus, émettre sans retenue de la liquidité auprès des banques, de tel ou tel passager, en raison  de son statut de gardien de la stabilité monétaire.

Autant de dispositions qui limitent le périmètre de la clandestinité, ainsi que l’a clairement montré les péripéties de la crise irlandaise. Les entrepreneurs politiques locaux continuaient à chercher à gagner du temps - y compris en consommant cavalièrement, le fonds de réserve des retraites, pour retarder des adjudications, potentiellement calamiteuses en termes de taux - et laissaient sur active une BCE venant en aide aux banques insolvables. La BCE, jugeant qu’elle quittait le champ traditionnel de ses interventions, fut le promoteur de l’organisation d’une aide coordonnée, que les entrepreneurs politiques irlandais, furent amenés dans un premier temps, à refuser. Ces derniers, préférant sauver les banques, par les liquidités distribuées par la BCE, plutôt que d’accabler davantage un citoyen pourvoyeur de voix. « L’accord » du 28 novembre qui fût imposé aux entrepreneurs politiques irlandais, définit  bien les limites de la clandestinité dans le paradigme dominant : en cette fin d’année 2010, il appartient encore aux contribuables, de régler les factures de l’orgie financière.

Sans doute y aura-t-il, ici ou là, chez nombre de clandestins, cartellisation des marchés politiques pour faire évoluer le système européen de banques centrales. Et une cartellisation résultant possiblement d’une résistance croissante des citoyens. Pour autant, les choses ne sont pas simples, et il y aura probablement un nouveau front du refus, issu de la cartellisation des entreprises politiques allemandes. En admettant même qu’il puisse être mis fin à l’indépendance de la BCE, le risque le plus important, serait l’élargissement du périmètre de la clandestinité : l’euro était déjà pour nombre de clandestins une drogue - une « monnaie de réserve à l’américaine » - mais qui pourra, demain, si fin de l’indépendance il devait y avoir, contrôler l’ouverture du robinet à liquidités aux fins d’éviter l’over- dose ?

L’euro, risque ainsi de rester encore quelque temps, la monnaie en quête d’un souverain très difficile à faire émerger. De quoi la menacer dans sa survie.

 

 

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27 octobre 2010 3 27 /10 /octobre /2010 12:24

                      

L’idée selon laquelle le système financier se serait transformé en gigantesque casino est devenue courante. Avec  l’apriori suivant : tout comme au  casino, il n’y aurait pas de production de valeur et, ce qui serait gagné par les uns, serait strictement compensé par les pertes des autres.

Le texte suivant tente d’apporter, quelques éclaircissements.

Des producteurs de valeur ajoutée ou  de gains à l’échange semblables

Tout d’abord il y a lieu de s’interroger sur l’apport du Casino. Par exemple, quel est le résultat du jeu de l’échange sur les tables de roulettes ? Manifestement les salles de roulettes sont l’équivalent d’un atelier de production de valeur ajoutée classique, et valeur ajoutée faite d’une production ( les sommes nettes perdues par les joueurs diminuées des consommations intermédiaires). Il y a activité spéculative, paris effectués sur des numéros ou des couleurs,  et ce qui est gagné ou perdu par les joueurs est strictement équivalent à ce qui est gagné ou perdu par la banque. Simplement les règles sont ainsi faites que les probabilités de gain de la Banque sont supérieures à celles des joueurs. De quoi payer  les charges de fonctionnement et le profit réclamé par les propriétaires.

Non seulement il y a production de valeur au sens de la comptabilité nationale,  laquelle ne pourra distinguer une salle de roulettes d’une usine d’assemblage de voitures, mais il y a aussi au sens de la théorie économique un véritable  gain à l’échange : Le propriétaire  du casino gagne à répondre positivement à la passion du jeu, et les joueurs gagnent à pouvoir s’adonner à leur passion.

Il y a également production de valeur au niveau des salles de marché, lesquelles ressemblent – au-delà des technologies utilisées – aux salles de roulettes. Donc production de valeur au sens de la comptabilité nationale et production de valeur au sens de la théorie économique.

La comparaison, à connotation négative, du monde financier avec les jeux de casino est ainsi peut-être non fondée.

Mais nous ne sommes qu’au début de la comparaison.

Le statut du futur : probabilisable ou incertitude radicale ?

Les règles du jeu de roulette sont simples et connues de tous les participants. Il s’agit donc d’un marché d’information parfaite, sans asymétrie d’informations, avec,  pour les joueurs, liberté de ne pas entrer dans le marché. L’environnement des salles de roulette est particulièrement stable, en particulier les mouvements de la société n’affectent  guère le résultat du jeu. Point n’est besoin de relier la salle à Reuters ou Bloomberg : le mouvement du monde n’affecte pas le hasard de la rencontre entre la boule et un numéro. Et les « états du monde » sont parfaitement connus : probabilité de 1/36 pour les numéros, de 1/2 pour une couleur ou le genre d’un numéro , etc. L’avenir (le résultat du jeu) est inconnu mais il ne saurait réserver de surprise : la boule ne peut se stabiliser sur un numéro ou une couleur qui n’existe pas dans l’univers du jeu de roulette.

Le jeu du marché dans les salles de marché est d’une toute autre nature. Contrairement à ce que laissaient penser  Black et Scholes, le monde des salles de marché est plus  fractal que  gaussien. Cela signifie que des risques extrêmes peuvent se produire, évidemment de façon totalement inattendue. Il s’agit du « Cygne noir » cher à Taleb et « cygne noir » que Mandelbraut avait théorisé dans les années 1960. Il est donc des états du monde totalement  imprévisibles, d’où a priori des surprises, comme celle de la présente crise financière.

 Le prix de marché remplace le numéro sortant du jeu de roulette, et ce prix est bien une extériorité qui dépend du rapport entre des hommes, rapport entre offre et demande ,  rapport qu’aucun ne maitrise et sur lequel tous exercent une influence en continue. Au jeu de roulette, la boule se stabilise. Personne ne peut connaitre son numéro d’ancrage, parce que le calcul théorique qui relève de la simple mécanique est tellement complexe, qu’il n’est pas maitrisable par le physicien, d’où l’utilisation du terme de hasard.

Le prix d’un contrat sur le marché à terme est d’une autre nature. Les causes du prix sont aussi infiniment complexes, d’où le trop facile et sans doute rassurant passage  vers un monde gaussien  alors même qu’il en est très éloigné. Prix et hommes agissent en boucle continue avec parfois des sauts déterminés par la contagion des croyances et rumeurs. C’est précisément parce qu’il y a du « social » dans la finance que le futur n’est pas probabilisable. Et c’est, à l’inverse, parce qu’il n’y en a pas dans les salles de jeu que le futur y est probabilisable.

Le caractère non probabilisable du futur dans la finance n’est certes pas confortable, mais il y a hélas  beaucoup plus grave : l’inégalité fondamentale entre les joueurs.

Les règles du jeu : claires ou porteuses d’asymétries radicales ?

A l’inverse des salles de jeu où d’une certaine façon la population est homogène au regard du jeu -malgré sa grande hétérogénéité de fait (niveau d’instruction, de richesse etc.)- le monde de la finance est extrêmement hétérogène. Et cette hétérogénéité se reconnait d’abord dans l’asymétrie d’informations, peut-être ensuite dans l’asymétrie de pouvoir de manipulation. Et le tout rend élastique le patrimoine financier d’une collectivité. Ce qui signifie que le monde de la finance est celui où tous peuvent gagner , et où tous peuvent  perdre, alors que dans les salles de jeu les patrimoines restent constants : ce qui est gagné par certains est perdu par d’autres. Reprenons ces différents points.

L’asymétrie d’informations est banale, et correspond au fait que tous ne disposent pas du même niveau de connaissance, concernant la réalité des produits, et la réalité des marchés. Plutôt que de parler d’asymétrie d’information, il vaudrait peut-être mieux parler d’asymétrie de connaissances. Au fond personne ne sait, puisque le prix est fonction d’une foule d’actions et de réactions, correspondants à une multitude d’informations. Et le plus souvent actions et réactions sur la base d’une chaine de causalités qui n’est pas scientifiquement établie. De ce point de vue, le prix surplombe les acteurs du marché, autant que le surnaturel  pouvait surplomber les hommes de la pré modernité : il reste encore assez  largement inaccessible et mystérieux. Pour autant, tous ne sont pas au même niveau de méconnaissance, et certains monopolisent des informations inaccessibles à beaucoup d’autres. C’est le cas des mathématiciens constructeurs de produits, qui précisément  apparaitront comme exotiques pour beaucoup d’acteurs. C’est aussi le cas de ceux qui maitrisent le mieux la vitesse de transmission de l’information, en se trouvant par exemple plus proche de sa source. Exemple qui nous fait penser au trading informatisé, et à la sophistication des algorithmes. Mais c’est aussi bien sûr,  le cas de ceux qui disposent d’informations confidentielles, et flirtent avec la notion de délit d’initié : il ne saurait- quoiqu’on en dise- exister de muraille de Chine, dans les grandes institutions financières.

Cette première asymétrie est fondamentale et permet de comprendre l’énormité des rémunérations des plus talentueux, avec la fantastique résistance à toute modération des bonus. De ce point de vue, le risque de délocalisation est très réel, et il sera impossible de réglementer sérieusement les rémunérations des principaux acteurs. Traders des marchés financiers,  et croupiers des salles de jeux, ne sont pas dans le même monde, et parce qu’aucune connaissance rare et stratégique n’est exigée chez ce dernier, sa rémunération ne sera guère comparable à celle du trader.

L’asymétrie du pouvoir de manipulation, est sans doute ce qui prolonge assez naturellement l’asymétrie des connaissances. Les cours, sur les marchés financiers, sont manipulables par les plus puissants, surtout s’ils disposent des possibilités de la globalisation financière, aujourd’hui il est vrai partiellement remise en cause par la « règle Volker ». Ainsi des offres volumineuses  d’achats immédiatement annulées, permettent de faire grimper un cours pendant un très court instant (quelques secondes et souvent beaucoup moins), et court instant mis à profit pour vendre. Le gain va ici chez le manipulateur de cours, gain éventuellement partageable avec celui qui aura été informé. Ce dernier cas est juridiquement un délit d’initié…qui ne peut évidemment être prouvé. La technologie fait ici barrage à l’application de la loi, et c’est la raison pour laquelle le regretté Maurice Allais voulait conserver la cotation unique quotidienne et manuelle.

Le pouvoir de manipulation peut aussi être plus radical lorsque la loi – c'est-à-dire le tiers qui surplombe le jeu- disparait au profit des acteurs du jeu lui-même, c'est-à-dire des professionnels impliqués, à qui l’on confie la régulation du système. C’est ce qu’on a appelé la dérèglementation ou la dérégulation. Chacun sait aussi que lorsque le régulateur public existe, il est souvent capté, ou à tout le moins sollicité par les lobbystes. A titre d’exemple, la récente directive européenne sur les « hedge funds » et les fonds de « private equity »,  a fait l’objet de 1690 propositions d’amendements en provenance de l’industrie.

« L’élasticité du volume des patrimoines financiers », fait qu’à l’inverse des tables de jeux, des bulles vont régulièrement  se former, et  exploser tout aussi régulièrement. Parce que les objets financiers ne sont jamais une réalité, mais une simple représentation ou un simple reflet, et quelque fois même reflet de reflet pour les produits les plus complexes, il y a toujours incertitude quant à leur valeur objective. Et incertitude concrêtement vérifiée, par le mouvement incessant des hausses et des baisses de prix. A l’inverse de nombre de marchandises réelles classiques, une hausse de prix, peut entrainer une augmentation de la demande, entrainant une nouvelle hausse, et par un processus de contagion mimétique, développer une bulle. Il en résulte des phénomènes d’enrichissement,  ou d’appauvrissement globaux, gravement perturbateurs à l’échelle macroéconomique. Et effets accrus en raison des interventions des banques centrales qui- à titre d’exemple- peuvent développer des hausses par le biais du « Quantitative Easing ».

La machine à produire d’incorrigibles inégalités.

Les différentes asymétries et bulles intrinsèques à la finance, sont génératrices d’une aggravation des inégalités sociales, et inégalités plus ou moins bien supportées selon les codes et normes sociales en vigueur, et donc selon les pays. De ce point de vue, l’emprise toujours plus grande des salles de marché, est beaucoup plus insupportable là où la passion de l’égalité est encore en vigueur (France), que là où la liberté est une valeur beaucoup plus importante que l’égalité ( Grande Bretagne).

Le Fordisme classique, redistribuait d’autant plus volontiers les gains de productivité, que le lieu d’où ils jaillissaient, était outil de production construit et utilisé collectivement. Il était difficile de savoir, quel ingénieur, quel agent de maitrise ou ouvrier, était plus responsable que d’autres dans l’émergence du surplus de production. D’où, à l’époque, le caractère très contenu des échelles de rémunération. La salle de marché, est un rassemblement d’individus autour d’un outil technique, qui permet de lire à l’euro près, ce que tel ou tel agent produit. L’atelier fordien était lieu de production indivise. La salle de marché est peuplée d’artisans, et chacun exige un bonus qui est une fraction d’une production artisanale très personnalisée.

Maintenant, la financiarisation du réel étant en pleine expansion, se met en place les deux lames d’un ciseau, qui d’un côté, tend vers une hausse sans limite des rémunérations liées à la finance, et de l’autre, une pression sur les basses rémunérations dans le secteur de la « réalité »,et ce, en raison des délocalisations  facilitées par ce que nous appelions les « autoroutes de la finance ». Les salles de jeu appauvrissent fréquemment  ceux qui jouent trop souvent (il existe un biais statistique en faveur du propriétaire du casino), mais les salles de marché appauvrissent ceux qui ne participent pas aux jeux financiers, ou plus exactement, tendent à déchirer les mondes où la valeur de l’égalité, était croyance et projet collectif. Ainsi, et d’une certaine façon, les salles de jeu ne développent  pas d’effets externes majeurs ( a priori pas trop de pollution) tandis que les salles de marché développent des externalités négatives de grande ampleur.

Pour autant ne pouvons-nous pas dire que la finance est  plus utile que le casino ?

Il ne reste que des paris sur fluctuations de prix ….à prix fort élevé.

Les salles de roulettes, au surplus  non reliées au sein d’une chaine planétaire, sont le lieu de spéculations aux conséquences simplement microéconomiques. Les salles de marché complètement intégrées sont le lieu de paris aux conséquences- externalités obligent-  macroéconomiques mondiales. Cette  démesure de la finance apparait pourtant très utile : elle assure- presque toujours - la liquidité sur toutes les opérations, celles des agents privés comme celles des agents publics. Et liquidité qui permet de s’abstraire des pesanteurs du réel.

Mais la recherche de la liquidité, bien compréhensible pour les acteurs de la réalité, c'est-à-dire les producteurs de marchandises, les exportateurs et importateurs, investisseurs, etc. qui doivent sécuriser leurs activités par des opérations de couverture, peut aussi être recherchée, par d’autres acteurs, très éloignés de la réalité, et de ses contingences matérielles. Il s’agit bien sûr, selon l’expression de Jorion, des « parieurs sur fluctuations de prix » que les acteurs institutionnels du monde de la finance, appellent improprement « investisseurs ». Il s’agit bien sûr des spéculateurs. Et spéculateurs dont on sait qu’ils sont- en raison de leur poids- les acteurs en position quasi hégémonique sur le marché.

Leur apport est ambigu et ne peut être mesuré facilement par la valeur ajoutée de la comptabilité nationale. Très certainement, les paris sur fluctuations de prix, prennent une place croissante dans la valeur ajoutée bancaire, notamment au niveau des méga- banques américaines. Pour autant, on sait depuis le regretté Alfred Sauvy,  que  l’une des insuffisances de la comptabilité nationale, est de sommer des valeurs ajoutées… qu’il faudrait pourtant soustraire. Et chacun peut  avoir en tête,  la consommation de carburant supplémentaire, provoquée par les bouchons dans les villes.

Replacé dans le contexte des salles de marché, les valeurs créées doivent- elles être ajoutées ou retranchées à la richesse nationale produite ? Il est possible de répondre à la question en la transformant : l’interdiction des  paris sur fluctuations de prix déboucherait-il sur une baisse relative du PIB ? Réponse assurément positive, si les paris interdits en questions (devises, matières premières, titres , etc.) aboutissaient à des grippages de l’économie réelle : moins d’échanges risqués et davantage de stocks à financer pour contrer une trop grande volatilité des prix, demande globale en baisse par « effet richesse » devenu assez probablement négatif, etc.

Il n’existe hélas pas d’études convaincantes en la matière. Nombre d’entre-elles soulignent les avantages de la financiarisation à l’échelle micro-économique. Toutefois, outre que l’échelle microéconomique est insuffisante, il s’agit souvent, de travaux menés à l’ombre des lobbys, qui évidemment ont intérêt à monter, ou entretenir un "casino", dont les asymétries leurs sont entièrement profitables. Lobbys qui invitent, évidemment,  au développement du processus d’abstraction du réel. Ainsi, vient de se monter sur le NYSE Euronext,  un marché de contrats sur poudre de lait, donc nouvel espace de paris, dont on ne sait s’il sera collectivement profitable, mais dont on peut parier qu’il sera profitable aux parieurs informés et compétents, que l’on trouve dans les méga- banques. Ainsi, ces dernières profiteront-elles davantage de cette nouvelle salle de jeu, que les éleveurs de troupeaux et producteurs de lait, encore peu initiés aux techniques des marchés à terme. En attendant l’ouverture de nouvelles salles de jeux, pour le beurre et le lactosérum, dès le printemps 2011…

Le processus d’abstraction du réel, et les nouvelles tables de jeux financiers qui en résultent, ne peut macro économiquement   se justifier, que si la valeur ajoutée (au sens de la comptabilité nationale) générée et captée par la finance, est inférieure à la croissance du PIB du pays considéré. Si elle est supérieure, cela signifie qu’il y a prédation. S’il y a égalité, les paris sur fluctuations de prix sont économiquement neutres. Raisonnement a priori de bon sens…A moins de considérer que l’ensemble macro économique fonctionne à rendements décroissants, et que la finance est replâtrage salvateur. Mais hypothèse à vérifier

 

Toutefois, et globalement, en l’absence d’études macroéconomiques sérieuses, sur les avantages et inconvénients des paris sur fluctuations de prix, force est  de constater, que cette continuelle abstraction du réel par ouverture tout aussi continuelle de nouveaux vrais- faux casinos, est à tout le moins contestable : il s’agit de s’engager dans  le développement de la « société en sablier » (Lipietz),c'est-à-dire un monde de plus en plus inégalitaire contre des avantages  non démontrés. Problématique , on le voit, typiquement  Rawlsienne… mais imaginée sur du sable…

Au total, le discours de la finance, concernant la formidable croissance mondiale dont elle aurait été le catalyseur, est à tout le moins une déclaration sans preuves. Certes la finance n’est pas vraiment un casino. Mais elle  est une formidable machine à créer de l’inégalité, et une inégalité très difficile à corriger, en raison des spécificités technologique de ce type d’industrie. La dévalorisation de la finance, et le jugement négatif qu’on peut lui porter, ne résulte pas des « paris », paris assimilés à ceux qui s’opèrent dans les salles de jeu, mais bien plutôt en raison des conséquences sociales de son simple fonctionnement.

 

 

 

 

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