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1 janvier 2024 1 01 /01 /janvier /2024 08:39

Nous avons montré dans les articles précédents[1] à quel point les gigantesques défis qui se posent aujourd’hui se heurtent à l’architecture monétaire et financière qui organise le monde. Nous avons également montré à quel point les partis politiques surplombés par ladite architecture étaient tous très éloignés de la simple possibilité d’imaginer des  propositions sérieuses. Nous tentons dans le texte suivant de proposer la colonne vertébrale d’une réponse adaptée à la hauteur des enjeux. De ce point de vue le texte qui suit n’est pas consacré à telle ou telle recommandation de politique publique. Il s’intéresse bien davantage aux fondations qui permettront d’édifier un avenir pour le pays. C’est la raison pour laquelle nous parlons de colonne vertébrale, c’est-à-dire ce sur quoi peut être imaginé un avenir démocratiquement défini. Bien évidemment, le texte n’évoque pas les réformes dites structurelles qui toutes sont des mesures en harmonie avec l’architecture monétaire actuelle et ne font que colmater les effets de l’inévitable entropie vécue par chacun. Le temps présent ne peut plus consister à nettoyer/lisser/perfectionner le terrain de jeu et  doit être désormais consacré au renversement des règles du jeu.

Petit rappel banal :

 Le devoir du politique est de permettre aux générations futures de s’épanouir dans un monde meilleur que celui hérité par ses actuels habitants. Ce n’est évidemment pas reconstruire ce qui existait. Et parce que la vie est porteuse d’une créance de sens, le devoir du politique est aussi celui de proposer un horizon désirable. Redessiner la France aujourd’hui ce n’est donc pas reproduire son passé supposé grand, c’est simplement, compte tenu du passé, la rendre habitable, confortable, et lui donner une signification. Le logiciel politique unique qui consiste depuis plusieurs décennies à  reproduire le présent  sans en saisir son inéluctable entropie doit donc être dépassé[2]. Et même le Nobel Angus Deaton semble aujourd’hui questionner l’entropie dans laquelle nous sommes[3].

Proposition de renversement des règles du jeu monétaire et financier.

1 - On peut certes respecter le cadre budgétaire européen, par exemple voter la loi budgétaire selon les règles du pacte de stabilité et de croissance, mais en même temps reprendre le contrôle de la Banque de France en lui donnant l’ordre (interdit dans le présent cadre) d’effectuer les dépenses décidées par le parlement et l’exécutif. Ce n’est plus la banque centrale qui domine le Trésor et c’est le Trésor qui domine la banque centrale. Dans un tel contexte il n’y a plus à lancer une souscription de bons du Trésor pour alimenter le compte du Trésor à la banque centrale. Le compte est toujours alimenté. Il n’y a plus à se poser la question du taux et des difficultés à placer un emprunt qui n’existe plus. L’Agence France Trésor et sa cohorte de banques spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) peut disparaître.

2 - Le nouveau cadre est un cycle qui, du point de vue du Trésor, commence par une dépense immédiate  suivie d’une recette à venir (impôt et épargne éventuelle transformée en bons du Trésor). Ce nouveau cadre est inversement - du point de vue des bénéficiaires de la dépense ( secteur privé interne et externe) - une recette suivie d’une dépense à venir[4]. Le cycle provoque donc mécaniquement une pression déficitaire côté Trésor et une pression excédentaire d’un même montant côté secteur privé interne et externe. Et le moteur du cycle est bien le Trésor. La liquidité du secteur privé est en permanence assurée par le Trésor dans sa dépense. C’est le Trésor qui donne l’ordre d’ouverture du robinet à monnaie, et c’est le même Trésor qui éponge le trop de monnaie en captant l’impôt et le surplus d’épargne. Le Trésor n’attend plus - dans l’angoisse - que le marché veuille bien éponger son déficit. Bienveillant, Il tend désormais la main à ceux qui connaissent un surplus de liquidité et souhaitent acheter des bons du Trésor.  Maintenant passer de l’angoisse à la bienveillance doit aussi correspondre à une modification des prix (le taux de l’intérêt) : le Trésor est moins soumis aux prix de marché et plus décideur de la rémunération qu’il va consentir. Nous ne sommes plus dans le même monde.

Les conséquences du renversement

Dans le cadre de la zone euro un tel système qui se mettrait en place en France développerait, en principe, les situations et effets suivants :

1 - Il y a tout d’abord un risque inflationniste si le moteur du cycle s’emballe et finit par produire plus de monnaie (dépense) qu’il n’en retire (impôts et bons du Trésor). La différence devenant déficit public trop important eu égard à une faiblesse des capacités matérielles propres à redessiner le pays. Ce risque doit être politiquement contrôlé sur la base d’une autorisation de création monétaire par les instances démocratiques.

2 - Il y a ensuite un risque extérieur se matérialisant par une relance…à l’étranger : la compétitivité française est trop faible et les intrants de la reconstruction sont importés massivement (pensons à la relance Mitterrand de 1981/1982).

3 - Ce second risque serait en principe très amorti en régime de taux de change flottants : le cours de la devise nationale fléchirait ce qui rendrait l’économie nationale plus compétitive, et donc l’excédent du secteur privé externe serait limité.

4 - Cette fuite très limitée au profit dudit secteur ne l’est plus avec le taux de change fixe existant à l’intérieur de la zone euro. La France ne peut pas dévaluer vis-à-vis de l’Allemagne. Dans ces conditions cela signifie la possibilité d’un « déficit sans pleurs » pour la France. La hausse de la dépense publique, imposée à une banque de France devenue obéissante, transforme le pays en passager clandestin de la zone euro.  On peut même penser que le destin de la France serait celui d’un rentier de la zone euro. Les dépenses publiques croissantes effectuées par la banque de France nourrissent un flux croissant d’importations, marchandises produites dans le reste de la zone et consommées en France. On serait très loin d’une restructuration du pays, de la reconstruction du lien social, de son autonomie, etc. Une telle situation de passager clandestin, pourrait faire des émules et pourrait aboutir à un effondrement généralisé.

5 - Cette situation nous permet de mieux comprendre la logique institutionnelle européenne qui interdit toute tentative de clandestinité : Bruxelles ne peut accepter la production de monnaie par un Etat et   va par conséquent devoir mobiliser des centaines de fonctionnaires, d’abord pour vérifier que la banque centrale est réellement indépendante, ensuite  pour élaborer, mettre en œuvre et surveiller un pacte de responsabilité budgétaire….dont la complexité aux dires des dits fonctionnaires  s’ajoute à l’imprécision du langage adopté : que signifie réellement un déséquilibre « structurel » ? De la même façon le « Next generation EU », ou plan européen de relance de 2021 (807 milliards d’euros) ne correspond qu’à de nouvelles dettes et n’apporte aucune solution au regard des enjeux. Il s’agit toujours en effet de procéder par la seule logique de l’endettement.

6 - Une façon de retrouver la souveraineté pour redessiner le pays serait donc de passer de l’équilibre budgétaire à l’équilibre des comptes extérieurs. Simplement, il s’agit d’éviter la fuite et faire en sorte que la dépense publique, nourrie par création monétaire, soit effectivement mobilisée pour redessiner le pays. Cela suppose évidemment des mesures techniques empêchant le déséquilibre sur les diverses balances du compte extérieur : taxation des importations, quotas, restrictions à la circulation du capital, etc. Toutes mesures interdites dans le cadre bruxellois.

7 – Cette dernière solution est pourtant probablement la meilleure en ce que bien menée elle pourrait ne pas briser l’édifice européen. Tout d’abord si elle était décidée par la France, il est très probable qu’elle développerait un processus d’imitation. Elle présente en effet un certain nombre de qualités : elle s’annonce responsable en ce sens qu’on refuse clairement le statut de passager clandestin[5] ; elle ne met pas en cause l’euro comme monnaie unique et donc ne met pas fondamentalement en cause le projet européen ; elle autorise des dynamiques nationales qui s’ajoutent et donc globalement la fin des restrictions budgétaires qui elles aussi se sont imposées à tous et ont provoqué un décrochage de la zone par rapport aux autres régions du monde (croissance de 19,2% depuis 2017 aux USA contre seulement 7,6% dans la zone euro). Reste à convaincre en expliquant le plus honnêtement possible.

Les résultats attendus

Les points susvisés méritent quelques explications et précisions :

1 - Il faut tout d’abord bien comprendre que le taux de change de 1 contre 1 à l’intérieur de la zone euro (l’euro n’est convertible qu’en lui-même) est le moteur de l’attrition européenne au regard du reste du monde. Si l’on se borne au cas franco-allemand, le déséquilibre extérieur France/Allemagne est porteur d’une attrition et pour la France et pour l’Allemagne. Parce que la France dispose d’un euro largement surévalué, le taux de change lui garantit un déséquilibre commercial abyssal (191 milliards d’euros pour 2022). Celui signifie une production nationale perdue pour un même montant (les français « mangent » un revenu qui n’est pas produit). De façon très approximative cette production perdue ou sous production correspond à 7,5% du PIB, et un peu plus de 2 millions d’emplois.

Parallèllement, parce que l’Allemagne disposait jusqu’ici d’un euro largement sous-évalué, elle disposait d’un excédent commercial considérable la conduisant à une stratégie mercantiliste qui commence à être dénoncée. Elle maintient une épargne considérable qui aurait pu être transformée en dépenses nécessaires (infrastructures délabrées, retraites insuffisantes, etc.). Globalement l’Allemagne pouvait mieux dépenser et la France pouvait davantage produire. Le déséquilibre franco/allemand est donc porteur d’un déficit de croissance globale. Si les taux de change pouvaient être modifiés et si donc un euro français pouvait moins valoir qu’un euro allemand, la croissance allemande serait moins mercantile et la croissance française serait plus élevée. Le raisonnement peut être généralisé à l’ensemble de la zone euro et donc si cette dernière reste à la traîne du reste du monde c’est en raison de la fixité du taux de change infra-zone.

Il est donc urgent d’inventer un dispositif permettant de retrouver les capacités productives de tous les pays à déficit commercial. Le gain de croissance collective de la zone permettra en retour un taux de change plus faible de l’euro au regard des autres devises. Taux de change allant donc dans le sens de la fin des excédents considérables de la zone avec le reste du monde. Observons toutefois que ce raisonnement est quelque peu biaisé par le fait que les contraintes qui s’exerceraient pour la construction d’un équilibre extérieur sont des gains à l’échange contrariés et donc le gain de croissance global reste sans doute difficile à évaluer.

2 - Globalement le passage de la « surveillance » des budgets publics (la monnaie est contrôlée par la finance) à celle de la « surveillance » des comptes extérieurs (la monnaie est émise par l’Etat) passe par une collaboration d’abord bilatérale mais probablement rapidement multilatérale entre pays déficitaires et pays excédentaires. Par exemple, l’Allemagne désormais bloquée dans sa trajectoire mercantile (problème des sanctions pour la Russie, keynésianisme stratégique américain, réduction du débouché chinois) pourra éviter le chômage français en relançant la consommation voire l’investissement interne…tout en évitant son propre chômage. La France en bénéficiera mécaniquement (moins d’exportations allemandes vers le reste du monde contre plus d’importations en provenance de la France), mais bien évidemment il lui faudra travailler sa compétitivité extérieure, d’abord sans doute par des mesures restrictives mais aussi en mobilisant les opportunités offertes par une monnaie émise par l’Etat. Ces opportunités ne sont pas négligeables et correspondent aux sommes mobilisées improductivement aujourd’hui au titre de la charge de la dette publique (55 milliards d’euros pour la France en 2023). Ces sommes deviennent des outils de compensation des inconvénients créés par une monnaie unique inadaptée et par définition inutilisable pour la maitrise des taux de change. Le maintien de la monnaie unique a un prix qu’il faut hélas payer. A terme, l’ensemble de la zone verra ses forces d’attrition se relâcher par une dépréciation globale de l’euro vis- à- vis du reste du monde.

3 - Mécaniquement le primat de la monnaie simple marchandise émise par les banques devait progressivement imposer la fin du bilatéralisme et l’imposition d’un ordre multilatéral contrôlé par la finance et assurant la fin des souverainetés. Cette fin des souverainetés devait être garantie par l’indépendance des banques centrales qui elles-mêmes devenaient le support d’un ordre multilatéral. Sans cette garantie la finance ne pouvait s’étendre. L’ordre interne, c’est -à-dire le budget, est surveillé, tandis que les frontières doivent disparaître : il n’y a pas à s’occuper de l’équilibre des comptes extérieurs. Notons que ce raisonnement se vérifie dans la pratique de l’agenda des fonctionnaires bruxellois : les budgets sont dans le champ des radars et les comptes extérieurs y échappent.

Tout aussi mécaniquement le primat d’une monnaie émise par l’Etat renverse les choses : l’ordre interne, c’est -à-dire le budget cesse d’être surveillé, et les frontières font l’objet d’une grande attention. Le retour de la souveraineté ne peut accepter celle des banques centrales qui doivent impérativement se contenter d’obéir et de faire respecter le politique retrouvé dans le système financier. Les banques centrales qui, partout dans le monde furent historiquement les enfants des Etats, doivent après leur grande fugue mondialiste revenir à la maison.

4 - Globalement l’objectif d’un équilibre des échanges extérieurs est favorable à l’élaboration de stratégies coopératives entre Etats. La lutte pour l’équilibre est affaire de discussions entre le déficitaire et l’excédentaire, ce dernier se devant de prendre sa part de responsabilité. A l’inverse dans le cadre actuel, l’Allemagne n’a aucun intérêt à ne pas maximiser sa « rente de taux de change » en adoptant une stratégie ouvertement mercantiliste et peu coopérative.  Alors que les présentes règles sur le budget sont l’affaire de chacun pour plus de compétitivité, la règle de l’équilibre extérieur est ouvertement coopérative. Notons que cette coopération est aussi ce qui faciliterait l’émergence d’une union des marchés de capitaux (UMC).

5 - L’ordre multilatéral n’est pas incompatible avec le retour des souverainetés. L’équilibre des comptes ext[JW1] érieurs est  un objectif de négociation qui peut commencer avec une offre politique nouvelle, celle du pays qui aura, le premier décidé, de retrouver sa capacité à produire de la monnaie. Le début du processus peut être d’ordre bilatéral, mais il devrait par imitation reproduire un ordre multilatéral : La mondialisation devient une « association d’Etats souverains » si possible démocratiques. Elle cesse d’être un liquide noyant les Etats qui ne savent pas nager pour cause d’amputation monétaire.

6 - Le processus de transformation de la monnaie marchandise en monnaie politique participe à l’engendrement d’un ordre sociétal nouveau. Dans le paradigme de la monnaie marchandise il y a en devenir la fin des souverainetés, la mondialisation et l’affaissement des nations : les droits de l’homme enflent et deviennent un fleuve en crue noyant les droits et devoirs du citoyen. Dans le paradigme de la monnaie politique, les droits de l’homme retrouvent leur lit et les droits et devoirs du citoyen ne sont plus dévalorisés.

7 – Il est donc clair que la prise en charge sérieuse de l’avenir ne laisse qu’une place limitée aux partis de la droite traditionnelle qui se sont contentés de se lover dans ce qu’on appelle le néolibéralisme ou l’ordo-libéralisme. Il ne laisse guère non plus de place aux partis dits de gauche qui ayant abandonné, le champ des luttes économiques se sont reconvertis dans celles qui affaissaient la citoyenneté. A leur décharge, reconnaissons qu’ils furent tous endoctrinés par les discours normatifs des économistes en difficulté avec la lecture du réel. Des économistes qui ne semblent pas connaître de révolution copernicienne et qui n’ont pas l’humilité des astrophysiciens, testant/contestant en permanence les modèles au regard des réalités qu’ils découvrent.  Redevenir sérieux ne consiste pas à construire des programmes détaillés à vendre sur des marchés politiques. Redevenir sérieux c’est d’abord observer et lire les faits en tentant de les rendre intelligibles aux fins de proposer un avenir désirable. Il est grand temps de voir les partis s’atteler à cet exercice plus difficile que celui de la communication.

Conclusion :

1 - Le scénario proposé avait aussi pour objet de répondre à la très  grande complexité de notre monde : climat, environnement, démondialisation ou « grande fragmentation », déchirures sociales, guerres de grande intensité. Nous avons tenté de montrer que cette complexité se traduit par une gigantesque montée des coûts de la production/protection d’un monde habitable. Et une montée des coûts qui ne peuvent plus être couverts par de la dette[6].

2 - Parce que le danger de réécriture d’un nouvel ordre est considérable dans le présent contexte, le scenario proposé reste modeste et tente d’apporter des solutions sans déchirures trop graves de l’ordre ancien. Ainsi Le contexte géopolitique ne peut nous autoriser la contestation trop radicale de l’ordre européen. D’où l’acceptation d’une monnaie unique certes très couteuse mais en même temps  symbole d’un rassemblement. On peut certes réduire le poids de la finance et faire disparaître la dette publique mais il nous semble très difficile d’aller plus loin. D’où aussi le maintien d’un authentique libéralisme qui autorise néanmoins le passage vers moins de compétition et davantage de coopération.

Nous n’avons évidemment pas abordé toutes les questions et certaines d’entre-elles ont déjà été partiellement évoquées dans l’article du 18 décembre : « la reconstruction passe par une bonne dose de dé financiarisation »[7]. Nous n’avons pas non plus traité de façon détaillée  la question de la création monétaire par l’Etat : faut-il passer à la monnaie numérique de banques centrales ? faut-il interdire la création monétaire par les banques ? etc. Ce qui nous renvoie à d’autres textes déjà publiés, notamment celui du 20 octobre dernier : « Reconstruire le système bancaire »[8] ou celui du 1er octobre : « Politique publique : entre la dette et le climat, il faut choisir »[9]. Notons enfin que les nouvelles technologies monétaires peuvent aider à l’émergence du scénario proposé.[10]

3 - Il existe présentement une conjoncture favorable à ce que la France se lance dans un tel scénario. D’abord une prise de conscience d’effets cumulés devenus insupportablement lourds :  prise de conscience que le pays est désormais le plus désindustrialisé de toute l’Europe, prise de conscience de déficits jumeaux (budget/ balance commerciale) parmi les plus lourds de toute l’Europe, prise de conscience d’un stock de dettes publiques le plus élevé de toute l’Europe. Le moment est donc venu d’un nécessaire changement de paradigme.

Ensuite des circonstances extérieures ouvrent une nouvelle fenêtre au pays. L’Allemagne ne peut plus elle-même se lover dans le paradigme des discours normatifs des économistes. Elle constate amèrement qu’elle ne peut plus vivre dans le confort d’une « rente de taux de change » aujourd’hui mangée par les nouveaux contextes géopolitiques. Un changement qui s’est révélé dans les  nouvelles négociations concernant le retour prochain du pacte de stabilité. 

Au total il existe donc une opportunité pour que la France reprenant l’initiative au niveau européen propose une association d’Etats souverains démocratiques.

 

                                                                                                                                                                                                                                                           Jean-Claude Werrebrouck  le 31 décembre 2023

 

[2] Reconnaissons d’emblée que ce sera pourtant difficile tant l’architecture monétaire et financière nous surplombe. Comment ne pas être étonné, par exemple, par ces propos d’un patron de la finance qui espère toujours une réforme progressiste autorisant le Bitcoin dans les futurs ETF : « Le bitcoin pourrait être la clé de la prolongation de la civilisation occidentale ». (Brian Armstrong directeur général de Coinbase). De quoi être pleinement rassurés surtout si on apprend que Coinbase s'octroie les services de george Osborne ancien chancelier de l'Echiquier du gouvernement britannique. Soulignons que la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) applicable dès janvier 2024 exclue (à la demande de la France) la finance de son périmètre d’intervention, ce qui confirme bien le sentiment d’une finance en surplomb sur le monde.

[3] Cf son article : « Le progrès est en danger » dans Le Monde du 31 décembre 2023.

[4] Nous conseillons de relire ici notre article du 21 décembre : « l’Etat, une entreprise si particulière ».

[5] Ce que les autorités européennes n’ont pas complètement réussi à faire avec le « boulet » des soldes TARGET 2.

[6] Le texte du président de la République publié dans Le Monde du 31 décembre : « Il faut accélérer en même temps sur la transition écologique et sur la lutte contre la pauvreté » est à cet égard toujours aussi éloigné de la réalité. Les projets à l’échelle mondiale sont gigantesques mais tout doit être financé par des charges nouvelles y compris pour les banques par de la dette. Comment va-t-on faire pour rembourser un ensemble qui va jusqu’à rémunérer les services rendus par la nature ? Comment faire si les DTS nouveaux ne deviennent pas une monnaie produite par un FMI nouveau ? La réforme des institutions de Bretton woods est évoquée, mais il, s’agit simplement d’un changement de taille et non d’une sortie du paradigme de la dette.

[7] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/la-reconstruction-passe-par-une-bonne-dose-de-de-financiarisation.html

[8] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/10/reconstruire-le-systeme-bancaire.html

[9] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/10/politique-publique-entre-la-dette-et-le-climat-il-faut-choisir.html

[10] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/09/technologie-monetaire-et-ordre-politique-vers-un-nouveau-monde.html


 [JW1]

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21 décembre 2023 4 21 /12 /décembre /2023 14:48

L’Etat est une entreprise qui achète et vend comme toute entreprise. Il achète des matières premières, de la force de travail (fonctionnaires) et vend ce qu’il produit (des services publics à prix nuls). Heureusement pour lui il peut couvrir tout ou partie de ses coûts par des subventions appelées impôts.

Il peut aussi être ambitieux, se livrer à de forts investissements et s’endetter, ce qui ne le distingue guère des entreprises qui elles aussi s’endettent. Cette opération est tout simplement un achat de monnaie sur le marché de la monnaie. Si les entreprises pouvaient fabriquer de la monnaie elles n’auraient pas à s’endetter et, probablement, elles  seraient grandement insouciantes vis-à-vis de la gestion. Très vite on produirait plus de monnaie que de marchandises et l’affaire se terminerait par une gigantesque inflation. Les entreprises elles- mêmes disparaitraient vite du paysage.

Des Etats qui vont perdre leur code génétique...

Les Etats à l’inverse des entreprises furent historiquement des créateurs de monnaies, privilège longtemps conservé et partiellement abandonné. De ce privilège il ne reste plus que le pouvoir de définir une base monétaire et assurer un cours légal : la monnaie légale en France est l’euro et tout le monde est obligé de l’accepter. Le pouvoir de création lui étant retiré, l’Etat ressemble de plus en plus à une entreprise, et s’il veut comme les entreprises dépenser plus qu’il ne gagne, il lui faudra s’endetter…en ayant recours au marché de la monnaie. Finalement l’Etat d’aujourd’hui ressemble bien à une entreprise : il est au moins pour ce qu’on appelle la dette, enkysté dans le marché. A ce titre il se trouve surveillé comme toutes les entreprises par la finance, ce que chacun peut constater avec les peurs gouvernementales concernant les décisions des sourcilleuses agences de notation.

Jadis, lorsqu’il a émergé dans l’histoire de l’humanité, l’Etat n’était pas enkysté dans une économie qui n’existait pas, et la monnaie qu’il allait inventer n’avait rien d’une marchandise. A l’époque, l’Etat était une stricte entreprise politique et s’il s’est mis à fabriquer de la monnaie c’est essentiellement pour couvrir les charges de la guerre au regard d’autres Etats. Cette monnaie fut très rapidement du métal accepté par tous, y compris ses ennemis et les mercenaires qu’il engageait dans la guerre. Simultanément, cette monnaie métallique étant issue de mines toujours trop rares, il lui fallait un moyen de récupérer tout ou partie de la masse métallique par le bais d’une fiscalité qu’il fallait là aussi inventer. Nous avons déjà là le circuit du Trésor qui sera remis au gout du jour au vingtième siècle. Au final l’Etat n’avait pas comme aujourd’hui besoin d’acheter une monnaie qu’il produisait. Avec toutefois une réelle contrainte : sa capacité à dépenser était limitée à sa capacité à produire du métal... ou à augmenter la pression fiscale. Au-delà, on entrait dans la dette ce qui fut historiquement le cas. D’où les fameux mercantilismes à partir du 16ième siècle en Europe et déjà une dépendance vis -à -vis d’une finance en voie d’épanouissement.

Avec la fin de l’or et l’avènement d’une monnaie fiduciaire inconvertible en métal il aurait été possible pour l’Etat de retrouver sa vie de jadis avec au surplus l’absence de limite à sa capacité créatrice de monnaie. Curieusement, c’est au moment où l’Etat se libère du métal qu’il va s’enkyster dans un marché de la monnaie. Sans s’attarder sur l’histoire concrète il est vrai que si tous les Etats avaient conservé leur puissance créatrice de monnaie, la course à la production de monnaie aurait été rapidement ruineuse. Chaque Etat aurait pu produire une très grande quantité de monnaie pour acheter les marchandises des autres Etats, ce qui aurait entrainé des chutes de change généralisées et une hyper inflation mondiale. Il fallait donc instaurer une discipline et, pour se faire, interdire aux Etats de créer de la monnaie. D’où la chasse à ce qu’on appelle encore la planche à billets et beaucoup plus tard l’indépendance des banques centrales. Le chemin historique aurait pu être autre et par exemple un pouvoir démocratique aurait pu imaginer un contrôle de l’émission monétaire par l’Etat, avec une liberté totale d’émission à l’intérieur d’un objectif de stabilité monétaire gravé dans le marbre d’une Constitution. Naguère, les mines de métal, toujours insuffisantes, pouvaient imposer la rigueur, aujourd’hui la Constitution pourrait faire office d’une mine de métal à la fois aussi sérieuse et moins rigide. La réalité historique et plus spécifiquement en Europe fut toute autre et l’on va enkyster les Etats dans le marché de la dette publique et donc le paiement d’un intérêt à la finance, qui elle va récupérer la totalité du pouvoir monétaire.

Le monde devenant progressivement englouti dans une économie à très forte croissance, ce que l’humanité n’avait jamais connu jusqu’au 19ième siècle, il faudra de plus en plus de monnaie pour faire circuler un PIB de plus en plus lourd. Et une monnaie qui sera créée par les seules banques et qui pourra nourrir les dépenses d’un Etat appelé lui aussi à un très fort grossissement. Désormais l’Etat se doit de passer par le marché de la dette publique alors qu’au vu de son passé historique rien ne l’y obligeait. Désormais les Etats doivent se comporter comme des entreprises qu’ils ne sont pourtant pas. Et  comme les entreprises ils doivent veiller à la soutenabilité de leur dette.

.... Mais Des Etats qui doivent le retrouver impérativement.

Les problèmes d’environnement et géopolitiques majeurs imposent aujourd’hui la reconstruction d’Etats puissants disposant de très gros moyens. Cela signifie que des Etats enkystés dans un marché de la dette publique ne pourront jamais faire face aux problèmes du moment. Il faut en effet disposer d’énormes moyens financiers que le marché est incapable de fournir dans la configuration qui est la sienne. Il doit se réarmer comme au bon vieux temps de sa naissance pour mener plusieurs guerres dont bien sûr celle de l’environnement.

Si les choses sont politiquement difficiles, elles sont pourtant techniquement simples. Il n’a même plus besoin de mines de métal et l’Etat peut se contenter de créer de la monnaie en donnant des ordres à sa banque centrale. L’équivalent du circuit du métal de jadis est le suivant :

               1 -  Ordonner à la banque centrale d’effectuer les dépenses publiques nouvelles, celles devant faire face aux nouveaux dangers. La banque centrale abonde donc le compte du Trésor du montant exigé et effectue les virements correspondants à la dépense publique ;

                                                    2 - Constater l’abondement des dépenses sur les comptes des banques et l’abondement de leur compte à la banque centrale ;

                                                           3 - la liquidité excessive qui se forme sur les comptes devient une épargne : des agents bénéficiaires de la nouvelle dépense publique vont consommer et épargner ;

                                                          4 - La fiscalité plus importante retourne sur le compte du Trésor à la banque centrale : on consomme, on épargne mais on paie aussi des impôts.

                                                           5 -  l’épargne nouvelle est aussi un stock de monnaie que le Trésor peut éponger en offrant des bons du Trésor.

 Les dépenses gouvernementales créent un déficit public dont la contrepartie est un excédent faisant à priori le bonheur du secteur privé. Il existe toutefois 2 limites. La première est le risque d’inflation si les dépenses ne rencontrent pas les moyens matériels de la réponse aux nouveaux défis (la main d’œuvre et les divers intrants). La seconde est que le secteur privé est aussi fait de l’étranger et les dépenses nouvelles peuvent entrainer un déficit extérieur.

Un nouveau monde ?

En supposant  que  ces questions soient techniquement et politiquement résolues, nous constatons l’émergence d’un autre monde. Le marché de la dette n’existe plus et les taux croissants justifiés par  le volume croissant de la dette publique n’existent plus. Il n’existe plus de risque de taux ou de spreads de taux qui attirent les attaques de la finance spéculative. Les crises des finances publiques de la décennie 2010 ne peuvent plus menacer. Les problèmes de la Grèce de l’Italie, voire de la France disparaissent.

La finance n’en veut pas

Mais ce nouveau monde est difficilement acceptable par la finance qui y verrait une réduction considérable de son périmètre d’activité. La dette publique dans sa configuration actuelle fait partie du marché et à priori un marché de qualité puisque les bons du Trésor sont des actifs réputés sûrs servant de matière première aux constructions financières. Au-delà si l’Etat redevenait politique il pourrait ne plus respecter les règles du jeu de l’économie de marché : il pourrait devenir éléphant dans un magasin de porcelaine et trop largement substituer son Etat-providence au marché. Reconnaissons toutefois qu’il pourrait aussi diminuer les impôts ce qui serait favorable au développement des marchés. Reconnaissons aussi qu’il faudrait aussi veiller au non développement de l’inflation donc se fixer une limite en matière de création monétaire.

La conclusion de ce raisonnement est simple : La finance doit veiller à ce que la dette publique existe et qu’elle doit se vivre à l’intérieur des règles du marché. Mais la finance doit aussi veiller à ce que ce marché soit sécurisé : la dette publique doit-être contenue dans les limites de la soutenabilité, à peine de crise et de possible effondrement financier. Pour se faire elle agite les outils de la surveillance des Etats en proposant le recul des activités publiques permettant aussi le recul de la pression fiscale.

L’Etat pourra-t-il reprendre le pouvoir?

L’intérêt de l’Etat est clairement de se retirer de sa position d’agent capturé par la finance et de se reconstituer comme être politique. Il doit se repositionner comme créateur au moins principal de monnaie. A ce titre il perdrait son statut idéologique d’endetté fragile et peu sérieux.

D’abord il lui faut constater -  et surtout faire constater par ses électeurs - que le statut de créateur de monnaie est clairement meilleur. Bien sûr il y aura toujours des achats de bons du Trésor dans le nouveau modèle. Mais ces achats sont d’une toute autre nature. l’Etat ne doit plus - comme aujourd’hui-  acheter de la monnaie pour dépenser. Il décide de dépenser, et les bons du Trésor achetés ne font que suivre la dépense : l’Etat offre simplement d’éponger la surliquidité qu’il a lui-même engendré et offre ainsi un débouché à une épargne qu’il a lui-même crée. De quoi renverser complètement le tintamarre de la logique d’un endettement qui se ferait aux dépends des générations futures. Et effectivement il y   a bien un renversement du monde puisque l’Etat n’est plus quémandeur sur un marché dans lequel il est surveillé, mais un offreur d’opportunités nouvelles. Logiquement le taux d’intérêt offert pour cette nouvelle épargne doit contrer le risque extérieur. En effet, il faut empêcher une éventuelle fuite des capitaux et capter la nouvelle épargne par une rémunération suffisante.

Le seul et vrai problème est donc ailleurs. Comment mettre fin à une tutelle financière adossée à un système institutionnel qui lui confère une légitimité ? Plus particulièrement eu Europe le système financier dispose de ce bouclier très puissant qu’est la monnaie unique.

Conclusion :

La conclusion du raisonnement que l’on vient de tenir est simple : on ne pourra pas faire face aux immenses défis d’aujourd’hui, sans d’abord s’attaquer aux questions monétaires et financières. De cette constatation, il en découle que tout programme politique ne mettant pas au premier rang cette question n’est tout simplement pas sérieux.

Nous tenterons dans un prochain article d’aborder la question de l’appariment de l’impérieuse réforme monétaire avec les institutions de la monnaie unique.

 

 

 

 

 

 

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24 septembre 2023 7 24 /09 /septembre /2023 06:13

 

Face à une aversion au dollar, imaginons que les échanges internationaux s’opèrent - comme le souhaite la Chine et d’autres pays - en monnaies nationales. On peut imaginer une structure de clearing (chambre de compensation) permettant de faire apparaître à intervalles réguliers les soldes pour chaque pays. Comment régler les soldes ? Si la monnaie de réserve a disparu, il reste, comme c’était le cas à l’époque de l’Union Européenne des Paiements, le règlement en or. Le pays déficitaire déplace de l’or sur le compte du pays excédentaire, à moins que ce dernier n’accepte d’autres actifs comme des obligations publiques

. Mais, bien avant, un autre problème surgit : comment sont calculés les soldes ? A partir de quel taux de change ? Si les différentes monnaies ne sont pas rattachées à un quelconque étalon de valeur, le calcul est tout simplement impossible.

Une solution très simple…

Certes, on peut revenir à la situation passée et se référer à un contenu métallique pour chaque monnaie. Et d’une certaine façon, l’UEP était un bon modèle, simplement à cette époque nous étions dans une situation inverse de celle d’aujourd’hui, situation où il y avait pénurie de dollars et non aversion.

Clairement, à l’époque, on souhaitait une inclusion monétaire pour se libérer, alors qu’aujourd’hui on cherche à se libérer par un rejet d’inclusion dans le dollar. Pourtant cette nouvelle version de l’UEP assurerait - en principe - une meilleure stabilité au niveau des taux de change. Les banques centrales tentant de maintenir les cours pour éviter de grands déséquilibres des soldes.

….Mais fort peu réaliste

Mais il faut aller plus loin et envisager les mouvements de capitaux. Sans contrôle des changes, le fait de payer en monnaie nationale permet à chaque partenaire d’acheter des actifs financiers ou réels sans aucune limite, lesdits achats s’opérant par le jeu de la simple création monétaire. Ainsi la Chine pourrait acheter sans limite des obligations, des immeubles ou des usines en France. Et la France, pourtant d’un périmètre plus réduit, pourrait en faire autant sur les actifs chinois. Sans contrôle des mouvements de capitaux, il y aurait un développement, hors contrôle, des échanges internationaux, le tout se manifestant par une inflation monétaire incontrôlée. Un solde proche de zéro entre la France et la Chine pourrait aussi correspondre à une inflation gigantesque. On comprendra par conséquent que la disparition d’un étalon monétaire doit s’accompagner d’un contrôle des émissions monétaires nationales. La conclusion de ce raisonnement est donc que l’acceptation sans limite des paiements en monnaies nationales est irréaliste et sans doute géopolitiquement très conflictuelle. C’est dire aussi que la Chine, contrairement aux rumeurs, ne peut sérieusement pas imaginer sans limite le paiement de ses importations en yuans contre le paiement de ses exportations en monnaies nationales des importateurs. Sans compter qu’un tel scénario aurait aussi des conséquences considérables sur le cours du dollar - la monnaie qu’il faudrait marginaliser- sa demande s’effondrant à l’échelle planétaire puisque tous les échanges pourraient s’opérer sans lui - contre une offre devenue réduite.

…Et des conséquences redoutables…

Mais ce scénario produirait de lourdes conséquences sur l’or. En admettant que les soldes se paient en or, ils se feraient sur la base de monnaies minées par l’inflation, ce qui veut dire que le prix relatif de l’or, donc son cours, serait fortement croissant. Ce qui veut dire aussi que la définition des monnaies par un poids d’or deviendrait vite impensable. De ce point de vue nous serions dans la situation du 19ième, celle de l’étalon-or…, sans que les monnaies nationales soient convertibles en or. Si le 19ième siècle était aussi celui de la stabilité monétaire c’est précisément que la convertibilité en métal était un étau et toute création monétaire excessive entrainait la sortie de route avec fuite de métal, réduction de l’offre monétaire et rétablissement de la stabilité. Dans le cas supposé proposé par la Chine, nous serions en sortie de route permanente. On reproche beaucoup au système dollar d’avoir autorisé le « déficit sans pleurs », le système chinois tel qu’il est plus ou moins proposé permettrait la démocratisation de ce type de déficit. Toutes les monnaies pourraient devenir l’équivalent du dollar.

En conclusion, le scénario que l’on vient de présenter, scénario tenté avec très grande prudence dans la réalité d’aujourd’hui, n’a aucune chance de se concrétiser à large échelle. Les différentes monnaies nationales ont besoin d’un étalon réel pour exister et se comparer. Le dollar est encore bien présent.

…Et que faire de la finance ?

Mais il y a beaucoup plus important encore, et l’idée que la demande de dollars (en dehors de celle correspondant à l’achat de dette publique  américaine) pourrait s’effondrer est probablement erronée. C’est que le dollar qui pourrait être évincé des échanges internationaux, resterait naturellement dominant sur les marchés financiers, lesquels disposent d’un poids plusieurs dizaines de fois supérieur au poids des échanges réels. On peut prendre pour exemple le marché des changes lequel brasse au quotidien près de 6000 milliards de dollars, pour un PIB réel mondial de 273 milliards, soit donc un volume financier 22 fois supérieur à la réalité matérielle. Rapporté au volume physique des échanges de marchandises à l’échelle mondiale, le marché des changes brasse 70 fois la réalité. On pourrait certes objecter que les échanges en monnaie nationale proposés par la Chine dégonflerait le marché des changes. Pure illusion car la nouvelle configuration suppose au final que les divers pays et leurs acteurs se protègent contre les risques de change. Or ces risques -s’ils disparaissent théoriquement du point de vue des exportateurs-  sont considérables du point de vue des importateurs. Il faut assurer le coût des couvertures de change alors même que l’on a exclu le référent traditionnel qu’est le dollar. Et les exportateurs auraient tort de croire qu’ils sont à l’abri d’une variation de change puisque leur chiffre d’affaires dépendrait d’une demande internationale affectée par les taux de change.

Dans le marché des changes traditionnel, chaque acteur se couvre sur sa monnaie par rapport au seul dollar. Dans le nouveau marché des changes, il faut se couvrir sur toutes les monnaies, ce qui complexifie le travail des importateurs sans que pour autant les volumes traités ne baissent et ce, dans un contexte plus étroit en termes de liquidité. C’est qu’en effet le marché de chacune des devises est autrement plus étroit que le marché du dollar. Cela signifie par conséquent des risques plus élevés et donc des couvertures plus coûteuses. De la même façon, les exportateurs devraient imaginer des couvertures nouvelles jusqu’ici peu explorées en raison des commodités offertes par le dollar.

Que conclure ?

La monnaie est effectivement et contrairement aux apparences beaucoup plus qu’une marchandise. Elle est d’abord une institution validant un processus de soumission/inclusion. La soumission mondiale au dollar est une dépendance qui contradictoirement permet l’inclusion avec ses espaces de liberté dans un monde qui reste contraignant. Il n’est pas facile de rompre et de créer une nouvelle institution monétaire. La fin d’une dépendance ne crée pas automatiquement une nouvelle inclusion garantissant de nouveaux espaces de liberté. L’institution monétaire présente est certes bien évidemment mortelle mais son agonie sera beaucoup plus lente que souhaitée par certains.

 

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14 novembre 2022 1 14 /11 /novembre /2022 05:36

 

Après prise de recul,  il est temps de revenir sur la crise britannique d’octobre dernier. Rappelons d’abord qu’un fonds de pension, engagé sur le dispositif des «  prestations définies », est une entreprise très spécifique et souvent prudente.

La spécificité d’un fonds de pension prudent et à « prestations définies ».

Comme toute entreprise il se doit d’équilibrer son bilan, avec toutefois des contraintes supérieures. Ainsi à l’inverse d’une banque  qui peut au moins partiellement « manger » ses capitaux propres tout en se préservant d’un « bank run », le fonds de pension doit honorer en permanence sa dette qui n’est autre  que les retraites contractuellement définies et versées chaque mois à ses clients. Clairement le bank-run devient ici une obligation contractuelle qui ne peut être contournée. Alors que dans le cas d’une banque, les clients sont en principe « séparés » et ne viennent pas en foule et en bloc réclamer le remboursement des sommes figurant sur leurs comptes, le fonds de pension est obligé de payer chacun – et donc tous- au même instant. Cela signifie que les actifs d’un fonds de pension se doivent d’être particulièrement solides en termes de liquidité et de valeur, ce qui est moins le cas d’une banque qui peut arbitrer, parfois avec audace, sur des modèles sophistiqués d’évaluation d’actifs pondérés par des risques. C’est la raison pour laquelle les fonds de pension sérieux sont à la recherche d’actifs hautement sécurisés en particulier de la dette publique réputée toujours solvable et particulièrement liquide.

Son fonctionnement dans le bain de « l’argent facile ».

Cela étant, la question de la rémunération se pose dans le contexte de taux d’intérêts restés faibles depuis maintenant de nombreuses années. Comment garantir des contrats anciens, contrats signés  il y a très longtemps, si les taux sont de moins en moins rémunérateurs ? Une façon de résoudre le problème fut de spéculer sur des swaps de taux normalement proposés par des banques. Concrètement, il s’agissait d’utiliser une partie des fonds épargnés par les clients soucieux de leur retraite, en achetant des swaps dont la valeur augmenterait plus rapidement que celle produite par la dette publique. De quoi disposer d’un actif global plus rémunérateur et donc de mieux garantir le paiement régulier des retraites.

Puisque dans le contexte de l’après crise de 2008 les banques centrales s’engagent massivement vers une baisse des taux, il convient d’acheter des contras de swaps de taux dans lesquels on accepte le pari d’échanger un taux fixe contre un taux variable dont on imagine la baisse durable. Du point de vue des fonds de pension, ce que l’on perdait d’un côté ( la nouvelle dette publique est de moins en moins rémunératrice) on devait le récupérer d’un autre ( les swaps de taux deviennent relativement rémunérateurs). Concrètement, dans ces contrats de swaps la contrepartie paie un flux d’intérêt au fonds de pension, lequel, en réciprocité, en verse un autre de plus en plus faible et donc une marge croissante s’élabore. Tout cela se passe sans consommation de capital, les flux reposant sur un simple « notionnel » ( un capital théorique) contenu dans le contrat. Rapportant davantage que les coupons d’obligations publiques, il en découle une modification de la structure des actifs des fonds les plus réputés : moins de dette publique en principe totalement sécurisée et davantage de contrats de taux soumis eux aux principes de la spéculation. Bien évidemment ces contrats sont proposés par les banques puisqu’elles disposent abondamment de cette matière première qu’on appelle la dette : toutes les entreprises clientes sont intéressées par des couvertures de taux et elles- mêmes vont disposer des largesses du « quantitative easing » de la période. Corrélativement les banques vont récupérer une rémunération sur un échange mutuellement avantageux : proposer un produit de  couverture contre rétribution. On comprend par conséquent que les swaps de taux vont devenir une part essentielle dans la variété des produits dérivés, et sans doute une part importante de l’activité bancaire.

Dans le même temps, parce que ces produits ne sont pas sécurisés par des chambres de compensation et restent massivement dans des marchés de gré à gré, ils sont très collatéralisés et donc soumis à des appels de marge élevés. Cela signifie que leur sécurisation supposera une grande consommation de cash. Cet appel ne pose guère de problème en période d’argent facile et au final les fonds de pension, par le biais des swaps, sont nourris par une des multiples branches du quantitative easing. De fait existe un lien entre augmentation de la taille du bilan de la Banque centrale et qualité de l’actif des fonds de pension lequel garantit le respect du versement des rentes au titre des retraites.

Son fonctionnement dans le cadre d’une lutte contre l’inflation

Tant que la planche à billets des banques centrales fonctionne sans conséquences sur l’inflation, la plupart des acteurs légitiment ce qu’ils pensent être encore une version nouvelle des politiques monétaires. Les choses changeront lorsque lesdites banques centrales vont commencer à relever les taux directeurs avec pour première conséquence une élévation du coût des dettes publiques. Désormais on s’attend à une hausse quasi programmée des taux et donc les swaps de taux vont commencer à fonctionner à l’envers : les fonds de pension vont certes bénéficier de taux plus élevés sur les nouvelles couches de dettes publiques achetées mais vont connaitre des flux contraires sur les swaps. Désormais la contrepartie va payer un flux de plus en plus faible, aux fonds de pension alors que ces derniers devront verser des flux de plus en plus lourds, nouvelle configuration de l’échange qui va exiger de fortes garanties en termes d’appel de marge. A court terme l’actif en dette publique reste encore peu rémunérateur puisque seules les nouvelles couches de dette sont plus rémunératrices. A l’inverse l’immense bloc des contrats de swaps devient désastreux ( on mange du capital) ce qui vient poser la question de la solvabilité des fonds de pension. N’oublions pas en effet que l’exigence de passif (le paiement des pensions) reste intangible et peut même s’accroitre si les contrats de retraite sont indexés sur un quelconque indice dont bien sûr celui de l’inflation. Les appels de marge augmentant il faudra alors vendre des actifs publics dévalorisés: les taux ayant augmenté ils valent moins. Ajoutons que pour des questions techniques de duration la chute de valeur est plus forte que dans les périodes classiques de remontée des taux (un point de base en plus est en 2022 à l'origine d'une baisse 2fois plus élevée qu'en 1994 ou 1999). L’Etat lui-même augmentant ses recours au marché pour combler un déficit public que le pouvoir politique développe sans nuance, l’offre de titres devient excessif et entraine avec lui une hausse des taux jugée de plus en plus insupportable. Nous avons là la description de la crise financière britannique avec un taux sur dette publique qui dépassera les 4,6% fin septembre dernier. Les swaps de taux devenant des produits dangereux peuvent devenir l’amorce d’une crise financière présentant aussi d’autres dimensions ( déplacement massif de capital vers les USA en raison de la nouvelle politique de la FED, chute du prix des actifs financiers classiques, faillite FTX et effondrement des cryptomonnnaies  etc.)

La dimension potentiellement macroéconomique de la crise.

Les fonds britanniques sont importants, ils gèrent plusieurs milliers de régimes à prestations définies et concernent plus de 10 millions de bénéficiaires. La masse financière correspondante totalise 1500 milliards de livres, soit plus de la moitié du PIB britannique.

Il n’y a pas que les fonds de pension britanniques qui se trouvent en première ligne. Ainsi les fonds de pension néerlandais dont le modèle est proche des fonds britanniques sont beaucoup plus importants et totalisent 80% de la totalité des actifs des fonds européens. D’où les recommandations de la banque centrale néerlandaise qui invite les fonds à constituer des réserves de cash suffisantes pour résister aux appels de marge. D’où aussi la mise en chantier de la transformation du régime  des retraites et passer de celui des prestations définies à celui du capital défini, avec bien entendu pour effet de ne plus garantir le montant des retraites.

Avec l’argent facile le système se nourrissait et garantissait des revenus qui eux-mêmes garantissaient des dépenses et donc la demande macroéconomique. Avec la lutte contre l’inflation,  ses effets sur la fin de l’argent facile et ses conséquences sur la chute des indices obligataires des Etats ( -17,93% entre janvier et octobre 2022) , c’est toute une chaine de garanties qui se trouve attaquée et donc une nouvelle source de précarisation de la demande macroéconomique. Plus globalement encore le total des actifs mondiaux des fonds de pension dépasse aujourd’hui le PIB américain. Tous ne sont pas gérés de façon aussi prudente qu’en Europe et donc les comparaisons ne sont pas aisées. Par contre il fait signaler que le dispositif des prestations définies est en très fort recul, ce qui signifie davantage de sécurité financière mais fort recul de sécurité économique : la précarisation des équilibres macroéconomiques est au bout du chemin de la financiarisation.

 

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13 octobre 2021 3 13 /10 /octobre /2021 08:32

Dans un article précédent nous avons constaté que les grandes questions du pays (social, économique, environnemental, géopolitique) supposait de disposer de moyens colossaux qu’une finance - majoritairement abonnée à de simples jeux spéculatifs protégés par monétisation abusive de la  banque centrale- ne peut rassembler. Le préalable à la question des programmes au titre de l’élection présidentielle est donc la construction de la matière première de base de la reconstruction du pays c’est-à-dire la finance.

Et parce que toute reprise en mains de la finance est faite d’opérations techniquement risquées et politiquement extrêmement dangereuses, il convient d’aborder la question avec une extrême prudence. Au-delà de l’objectif de reconstruction du pays, le respect de l’épargnant doit-être garanti. Cela passe par une infrastructure financière complètement arrimée aux objectifs de reconstruction, concrètement un outil de circulation de la valeur d’abord rationalisé, mais aussi complétement sécurisé, et apportant de la visibilité aux diverses étapes d’une reconstruction politiquement  planifiée.

Rationalisation :

Une circulation de la valeur rationalisée passe par l’observation d’un existant devenu très peu fiable. Notre infrastructure financière est composée d’un système bancaire chargé - au-delà du simple stockage de monnaie- de l’essentiel des échanges d’argent que ce soient des paiements, des crédits, de la circulation nationale et internationale des capitaux, etc. Dans ce système, ou cette infrastructure, circule de la monnaie comme dans le réseau électrique circule de l’électricité. Aujourd’hui la circulation monétaire - essentiellement depuis la crise de 2008- se déroule de façon dangereuse avec des banques dont la solvabilité n’est pas clairement assurée. Un peu comme si les pylônes du réseau de circulation de l’électricité étaient d’une fragilité inquiétante. Qui plus est, la monnaie circulante peut être source de thrombose, avec une Union Bancaire qui reste enlisée et un marché fragmenté. Elle peut être également source de fuites y compris sous la forme de retraits massifs de billets, retraits  qui consacrent la méfiance au regard du système. Cette méfiance est elle-même justifiée par des ratios inquiétants avec une cotation qui, malgré les récentes hausses et les rachats d’actions, représentent une valeur toujours inférieure à la valeur comptable nette. De ce point de vue, l’idéal de rationalisation serait la généralisation de la monnaie numérique de banque centrale qui ferait de cette dernière l’infrastructure moderne de la circulation de la valeur. Tous les acteurs disposeraient d’un compte sous forme numérique à la banque centrale, ce qui rendrait obsolète, aussi bien le marché monétaire, que  la circulation des billets. Sa mise en place moderniserait bien davantage les systèmes de paiements qui se manifestent aujourd’hui avec les néo-banques et la forte accélération de la numérisation des processus. La rationalisation passe donc par l’édification d’une infrastructure nouvelle de circulation de la valeur passant par la monnaie numérique de la  Banque de France et faisant de cette dernière son acteur principal. Bien évidemment cette rationalisation entrainera de considérables résistances de la part d’un système bancaire qui deviendra - au moins partiellement- inutile et qui devra, comme il y a plusieurs dizaines d’années avec les produits assurantiels, découvrir de nouvelles frontières , ce qu’on appelle le « Beyond Banking » ou « l’au-delà de la banque »  . Mais on sait que les marchands de chandelles n’ont pas facilement accepté l’apparition de l’ampoule électrique.

Sécurisation :

Politiquement il conviendra dans un projet présidentiel de ne voir la rationalisation que dans la mesure où elle va apporter une sécurisation complète à toute circulation de la valeur. En effet, il faudra bien expliquer que le vieux système que nous connaissons est d’autant plus dangereux qu’un compte bancaire n’est qu’une créance sur une banque qui peut faire défaut. Circonstance renforcée par  la menace grandissante de la préférence pour un « Bail-in » plutôt qu’un « Bail-Out ». A l’inverse, un avoir en monnaie numérique de banque centrale, est un actif sûr puisqu’une banque centrale ne peut faire défaut. Et un actif sûr qui peut être rémunéré par décision administrative aux seules fins de respecter l’épargnant.

La sécurisation viendra aussi pour l’Etat si la grande transformation proposée inclue l’extinction progressive d’un marché de la dette publique toujours soumis aux jeux spéculatifs sur les spreads de taux. Cela passe par un système bancaire chargé d’une mission de service public avec en particulier l’achat obligatoire de bons du Trésor. La dépense publique nourrit des comptes qui assurent un retour vers le Trésor. Cette extinction progressive apportera une sécurisation nouvelle : voir réduire progressivement la grande dépendance vis-à-vis du  reste du monde et aboutir à la  situation de celle du Japon où 90% de la dette publique est interne. A noter que cette extinction est également porteuse de sécurisation pour les autres pays européens et l’Europe toute entière. En effet les investisseurs des pays frugaux (Allemagne, Pays-Bas, etc.) n’auront plus à craindre de voir leurs capitaux exposés dans un pays à solvabilité menacée. De la même façon, Bruxelles n’aura plus à imposer de politiques restrictives entrainant une croissance anormalement faible pour toute la zone et une balance extérieure courante dont l’excédent (plus de 3% de PIB) est un boulet pour le reste du monde. Notons enfin que globalement la sécurisation vient raboter les jeux spéculatifs qui se nourrissent d’une insécurité par le biais de juteuses opérations de couverture de risques. Des risques qu’il faut reporter sans fins sur un marché du risque devenu tentaculaire, avec en particulier des produits dérivés, des positions nues, etc., et qui devra devenir politiquement maitrisé.

Visibilité :

Les banques, comme l’Etat, désormais sécurisées reçoivent la mission de fournir les moyens de la reconstruction dans tous les domaines définis par le législateur : décarbonisation planifiée et mesurée, respect d’objectifs de réindustrialisation et de transformation de l’agriculture, indicateurs de contraction des chaines de la valeur, indicateurs de recul de la polarisation, respect des objectifs de reconstruction et d’élargissement du complexe militaro-industriel, amélioration mesurée du système de formation et du système de santé, réintégration du pays dans le peloton de tête de la recherche mondiale, disparition du chômage avec augmentation générale du taux d’activité, indicateurs de santé sociale et sociétale,   etc. Cette visibilité suppose un contrôle strict de l’activité des banques et des administrations qui coopèrent avec les acteurs de base de la reconstruction : entreprises privées, entreprises publiques, associations, etc.

Chacun des objectifs est négocié avec les acteurs de base et le suivi de chacun d’entre eux donne lieu à des débats publics.

Rationalisation, sécurisation, et visibilité doivent permettre de nourrir des investissements dont la seule limite n’est en aucune façon financière mais la faisabilité matérielle. Dispose-t-on des compétences et de la capacité matérielle au redéploiement d’un très grand volume de travail humain, soit probablement celui de plusieurs millions de personnes ?

La réponse est bien entendu dans la remobilisation de tous les acteurs autour du projet de refondation, projet  évitant à la France de rejoindre la culture anglosaxonne et de rester dans la sienne tout en répondant aux grands enjeux de demain.

Principaux points du message à diffuser durant la campagne.

Le candidat réellement soucieux des questions financières s’engage à permettre à tous les français, mais aussi à tous les utilisateurs de monnaie, d’ouvrir un portefeuille feuille numérique à la banque de France. Cette nouvelle liberté est celle de la fin de la monnaie simple créance. Elle est aussi la possibilité d’échapper à l’ancienne circulation des billets et pièces devenue incompatible avec les nouvelles exigences sanitaires. Le candidat présente la mesure comme modernisation, sécurisation et simplification du réseau de circulation de la valeur. La banque de France doit ainsi devenir la banque sécurisée de tous les français. Le candidat insiste beaucoup sur le fait que déjà les projets de création de monnaie numérique de banque centrale sont à l’étude au niveau de la BCE et de nombreuses autres banques centrales. Il précise simplement qu’il veut aller au-delà et prendre appui sur ces monnaies nouvelles pour nourrir un projet ambitieux de reconstruction du pays. Il insiste également beaucoup sur le fait qu’il s’agit d’une entorse à l’indépendance de la Banque de France, entorse qui de fait sera acceptée par Bruxelles en raison des solutions qu’elle apporte au risque d’un éclatement de l’euro. C’est évidemment la partie la plus difficile dans la communication du projet.

 

Le candidat s’engage en contrepartie à interdire les cryptomonnaies privées sources de déstabilisation des comptes bancaires classiques mais aussi d’activités spéculatives et délictueuses. Il insiste sur le fait que déjà plusieurs milliards d’euros ont disparu des comptes bancaires français et se sont transformés en crypto-monnaies privées insaisissables.

 Il s’engage également à limiter le déplacement de fonds  des comptes bancaires classiques vers les portefeuilles numériques. Il s’engage toutefois sur une montée en puissance des portefeuilles numériques dont le contenu, à terme,  deviendra la monnaie de base entièrement sécurisée et rémunérée par un taux de l’intérêt administrativement décidé. Les comptes classiques deviendront progressivement des comptes d’épargne rémunérés, sur lesquels se fondera des financements au titre de la reconstruction. Dans ce cadre les banques se verront confiées une mission de service public. Le candidat, toujours prudent, proposera une enveloppe de 5 année pour aboutir à la mutation  progressive du système bancaire.

La protection temporaire apportée au système bancaire sera toutefois assortie de nouvelles contraintes. Les dépenses publiques au titre de la reconstruction qui se déverseront sur les comptes bancaires seront pour partie le support de bons du Trésors obligatoirement  achetés par les banques. Ce retour obligatoire vers le Trésor permettra à court terme de réduire, puis à plus long terme de faire disparaitre le marché de la dette publique. Le terme proposé par le candidat sera lui aussi fixé à 5 ans. En contrepartie et toujours dans le cadre du respect strict des objectifs généraux de reconstruction, les banques pourront bénéficier de contrats de création monétaire fixés conjointement par la banque de France et l’Etat au titre des investissements programmés.

Le projet général de reconstruction développera des externalités favorables aux pays frugaux (excédentaires). Le redressement favorise le mouvement général des dépôts européens vers la France, ce qui vient soulager les soldes Target 2 et rassurer tous les pays excédentaires. De quoi assurer certes, à partir d’un non-respect de l’indépendance de la Banque centrale, une union des transferts que la zone refuse avec obstination….De quoi aussi retarder sinon gommer la question des taux de change et donc celle de l’Euro…. Comme quoi la généralisation d’une monnaie numérique de banque centrale peut soulager les erreurs de cheminement dans la construction européenne. Techniquement cette union artificielle des transferts est difficilement communicable dans une campagne électorale, mais le candidat peut simplifier les choses en parlant d’une correction des négligences dans le processus historique de la construction européenne.

Le candidat insistera sur la séparation qu’il introduit dans la réforme entre les activités de marché (spéculation) et les activités de service public considérablement renforcées par la nouvelle infrastructure monétaire. S’agissant des premières il n’existe pas d’opposition fondamentale à ce que les activités de haut de bilan se maintiennent. Simplement elles tiendront compte des objectifs généraux de la reconstruction. Par contre les secondes seront progressivement limitées par la volonté de diminuer le périmètre des jeux spéculatifs consommateurs d’une épargne elle-même  carburant de la reconstruction. A titre d’exemple le candidat doit s’engager à supprimer le marché de l’électricité qui au-delà d’un gaspillage de moyens humains, technologiques et financiers ( débats invraisemblables sur la « taxonomie » ou réalité institutionnelle tout aussi invraisemblable appelée  «ARENH ») a eu pour résultat un prix de l’électricité déconnecté de son coût unitaire moyen et des retards dans les technologies de demain (EPR, SMR, réacteurs à sels fondus, etc.)

Remarques conclusives

Il est bien évident qu’un tel projet risque de développer un effet contagion à l’échelle de la zone. Avec des effets pervers, par exemple celui pour des Etats imprévoyants de jouer pleinement le jeu de la théorie monétaire moderne reposant sur la fausse souveraineté permise par un Euro bizarrement devenu protection. Par exemple la Grèce pourrait en revenir aux choix festifs qui étaient les siens avant la crise de 2015. A terme cela suppose probablement de revoir les traités.

Une question très importante est celle de la gouvernance de la banque de France devenue surpuissante. A cet égard une telle réforme doit impérativement refonder le code monétaire et financier avec l’objectif général d’un contrôle authentiquement démocratique garant des libertés fondamentales. On ne peut en effet oublier que la nouvelle « technologie monétaire » met fin à « l’argent liberté » contenu dans des billets disparus.

Plus généralement la grande question sera de savoir si l’effet contagion pourra corriger les effets de polarisation entre excédentaires et déficitaires ou s’il finira par faire disparaitre l’euro.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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13 novembre 2020 5 13 /11 /novembre /2020 08:20

 

Nous ne savons évidemment pas quel sera le monde de l’après crise. Par contre, il se dit que des transformations majeures feront l’objet - à tort ou à raison- de chantiers considérables. La préoccupation environnementale constitue un exemple de ces chantiers qui seraient prioritaires dans nombre de pays. Le présent papier se propose de montrer que le néo-libéralisme n’est pas l’outil susceptible de prendre en charge les transformations souhaitées. Auparavant, il nous faudra élucider ce qu’est le chemin historique du néolibéralisme. Démarche qui permettra d’en comprendre sa nature et sa dynamique au regard des enjeux d’aujourd’hui.

Le jeu logique du néo-libéralisme historique

Nous tenterons ici de reprendre partiellement l’excellente[1] présentation du travail de Pierre-Yves Gomez. Le néo-libéralisme n’a pu apparaitre qu’avec la redécouverte, la consolidation et la libération  de l’épargne au début des années 70. La promulgation aux USA de « l’Employer Retirement Income Security Act » le 2 septembre 1974, fera que les caisses de retraites des entreprises deviennent des organismes financiers autonomes chargés de diversifier leurs placements. Il s’agit là de l’acte de naissance de ce qui deviendra des fonds de pensions, fonds qui, eux-mêmes, vont se diversifier et, plus tard, concevoir des partenariats avec ce qui deviendra des organismes de gestion d’actifs aux périmètres croissants.

Cette première libération de l’épargne entraînera presque mécaniquement des effets importants : d’abord une augmentation du poids de la Bourse qui deviendra un outil, voire une contrainte dans le devenir des grandes entreprises. Assez rapidement,  la valeur de ces dernières s’exprimera en « valeur boursière », une valeur qu’il faudra ménager et qui va intéresser aussi bien les fonds de pension que tous les gestionnaires d’actifs dont les futurs « hedge funds ». Comme il est de l’intérêt des épargnants de sécuriser une retraite, le passif des fonds deviendra souvent des dettes fixes (retraites futures dont le montant est fixé à la signature des contrats, ce qu’on appelle les retraites à prestations définies). Une telle disposition invitera à la vigilance sur les actifs donc les titres des grandes entreprises. Cela signifiera que les entreprises doivent de plus en plus être sous surveillance. Ces dernières, soucieuses de s’approvisionner en capital, devront elles-mêmes rassurer les actionnaires en veillant à leurs résultats économiques, ce qui passe aussi par des innovations permanentes et des projets disruptifs qu’il faut communiquer, voire inventer pour élever les cours[2]. Au-delà, pour mieux sécuriser et mieux surveiller, on invitera à des réorganisations managériales en alignant l’intérêt des dirigeants d’entreprises sur ceux des actionnaires. Plus tard, cet alignement imposera aussi des processus de concentration avec tentative de construction de monopoles planétaires. On passe ainsi progressivement, disons dans les années 70, d’un capitalisme des grands organisateurs[3] éloignés de la finance, à un capitalisme partiellement noyé dans une matière première appelée épargne et dont le volume  - croissant et libre de toute attache - donne lieu à une  spéculation financière sans limite. Cette matière première est à l’origine d’une nouvelle industrie appelée « industrie financière ».

La logique de ce jeu est, bien sûr, de s’élargir continument, de devenir un modèle de rationalité, et surtout d’imposer une élévation continue du rendement du capital, le « return on equity » (ROE), lequel atteint aujourd’hui les 12%. Cette élévation est  un simple effet de marché qu’il faut expliquer. Dans le monde de l’économie réelle, la concurrence a le plus souvent pour effet la baisse des prix. Par contre, dans l’industrie financière, la concurrence entre fonds de pension, gestionnaires d’actifs, entreprises de capital-investissement, fonds activistes, fonds de private equity, etc. a logiquement pour effet de faire monter le prix du capital. C’est la réalisation de cet objectif que les épargnants de base ( les clients finaux de l'industrie financière) attendent de l’institution sous peine de fuir vers la concurrence. Chacune des organisations de l’industrie financière se doit par conséquent de ponctionner toujours davantage la valeur ajoutée des entreprises… au risque de ne pas survivre.  On pourrait certes imaginer que des fonds de pension raisonnables se contentent de collaborer avec des entreprises moins productrices de ROE. Toutefois, au nom de la rationalité, ils délègueront la gestion à de nouveaux entrants de l’industrie, les Hedges funds par exemple, dont l’objectif sera de capter toujours plus de valeur… avec une partie redistribuée aux fonds de pension dans le cadre d’une relation d’agence peu transparente. Globalement, il en résultera une contraction de la vision et du temps : les investissements réels des entreprises seront de moins en moins des investissements visant le long terme[4]. Plus grave encore, la captation croissante de valeur sur l’économie se paie d’une forte pression sur les salaires, lesquels vont augmenter 3 fois moins que la productivité du travail sur les 20 dernières années. Certes, toutes les entreprises ne seront pas financiarisées, mais celles qui le deviennent reporteront la ponction financière sur leurs propres salariés, mais aussi sur leurs fournisseurs (qu’il faudra également surveiller) lesquels ne survivront qu’en comprimant leur masse salariale. Une vague qui, de proche en proche, finira par atteindre la très petite entreprise… pourtant à priori très éloignée de l’industrie financière et de ses exigences…et dont les résultats économiques sont souvent très modestes…Mais aussi une vague qui va concerner les Etats, lesquels se doivent de devenir fiscalement moins voraces afin de ne pas entraver le bon fonctionnement de ces entreprises désormais très surveillées par les actionnaires.

Le jeu logique du néo-libéralisme historique est donc très clair : une épargne peu dirigée vers un futur lointain, une exigence croissante de rendements (ROE de 12%) comme effet de la concurrence sur le marché de l’industrie financière, des inégalités sociales croissantes et non maitrisables. Au final, l’éviction de tous les investissements de rendements inférieurs et donc une croissance globale de plus en plus limitée. Chaque nouvelle étape de la financiarisation devient l’approfondissement d’un cycle qui s’éloigne de plus en plus de ce que l’on pourrait vaguement appeler un intérêt général. Nous en sommes là au moment du déclenchement de la pandémie.

Un monde d’après qui se fracassera sur le mur du néo-libéralisme.

Les effets destructifs considérables de la pandémie se conjuguent aux défis laissés par une croissance sous dépendance de l’industrie financière[5]. D’où l’émergence de ce nouveau vocabulaire pour envisager le futur : « construire le monde d’après ». Sans que l’on sache très bien,  on sait pourtant que nous serons probablement amenés à envisager des investissement de long terme aux dimensions colossales et aux rendements inconnus : restauration des fonds propres des entreprises victimes de la crise sanitaire, recomposition des chaînes de la valeur et relocalisations industrielles, reconversion de l’agriculture, décarbonisation de toutes les activités, isolation de l’habitat, conversion aux énergies nouvelles, réaménagement des services de santé, recherche et mise à niveau du ou des pays dans cette matière première de demain qu’est « l’électron », infrastructures nouvelles et nouveaux moyens de transport. La liste n’est évidemment pas exhaustive. A cette liste, il faudrait aussi ajouter tous les abandons par les pouvoirs publics d’investissements ou de simples entretiens de biens communs, ce que nous avons appelé les « dévaluations internes masquées »[6]. Il s’agit là des infrastructures  civiles généreusement construites au cours des 30 glorieuses et que la financiarisation des activités devait au moins partiellement laisser en jachère : rails, ponts, routes, canaux, etc. Il s'agit aussi des équipements militaires dont les dépenses au titre du simple amortissement ont été souvent abandonné. Au total une reconstruction à périmètre et profondeur gigantesques devant mobiliser l'entièreté de la population, avec peut-être la fin de la sécession des gagnants de l'industrie financière, qui ont tant capté la valeur ajoutée pour la transformer en rente mondialisée (Au cours des dernières années, 1% de la population capte 82% du supplément de richesse produite selon OXFAM).

S’agissant de la France, de tels travaux d’Hercule ont déjà été envisagés après la seconde guerre mondiale. A l’époque, il fallait reconstruire le pays, ce qui passait là aussi par des besoins d’investissements colossaux, investissements qui furent réalisés sous la houlette des pouvoirs publics. A simple titre d’exemple, l’électron ou le numérique de l’époque, était l’électricité, d’où des investissements colossaux dans le nouvel EDF. Ainsi, en 1950, l’investissement de l’entreprise dépassait son chiffre d’affaires, un investissement réalisé sur fonds publics. Toutes les grandes entreprises nationales, les fameuses « GEN », furent ainsi vitaminées avec des participations ou aides publiques de long terme. A l’époque, il n’y avait guère d’épargne substantielle et donc, un modèle administré d’économie d’endettement s’est mis en place[7]. Bien évidemment, c’est l’articulation entre le Trésor, la Banque de France et les grandes institutions financières publiques (Caisse de Dépôts et Consignations, Crédit National, Crédit Foncier, Crédit Agricole, etc.) qui va permettre des investissements colossaux largement financés par création monétaire de la Banque de France. L’Etat n’a lui-même pas de marché financier disponible à l’échelle mondiale et ne peut disposer de ce qui est aujourd’hui l’Agence France Trésor, chargée avec l’aide de ses « SVP »[8] de valoriser une dette publique à l’échelle planétaire. Ses moyens reposent, par conséquent, assez largement sur la répression financière : il contrôle les Banques, oblige ces dernières à lui acheter des bons du Trésor et dispose d’importantes avances de la Banque de France. L’Etat oblige également ses institutions satellites, c’est-à-dire les grandes institutions financières susvisées et les banques, à financer le colossal investissement des entreprises. Les crédits à moyen et long terme sont ainsi aisément escomptables auprès du guichet de la Banque de France, ce qui est bien sûr pur acte de création monétaire. On conçoit ainsi que, sans argent, c’est-à-dire sans épargne, il est donc possible d’assurer la reconstruction du pays.

Si l’on compare maintenant les 2 périodes, la présente et celle de l’après- guerre, on constate une similitude et une grande différence :

La similitude est le fait que, dans les 2 cas, la banque centrale est mobilisée, naguère pour des investissements programmés dans l’économie réelle, aujourd’hui pour le maintien d’une situation éminemment dangereuse. La monnaie créée aujourd’hui a pour objectif essentiel d’empêcher -par toute hausse des taux… même infiniment petite- l’effondrement de la pyramide financière avec effets sur la solvabilité des entreprises et des Etats[9]. Elle avait naguère pour objet une réelle reconstruction, en particulier industrielle.

La grande différence est que naguère, même sans épargne, rien ne s’opposait à la reconstruction du ou des pays sinistrés, alors qu’aujourd’hui l’industrie financière, de part sa simple logique de fonctionnement que nous venons de présenter, étouffe toute tentative de reconstruction. Il n’y a évidemment pas de complot, et ce que certains appellent « l’oligarchie » est simplement composée de gens qui, pour se sauver, sont tenus de tenir les banques centrales et contrôler la montée en puissance de ces dernières[10]. Le ou les Etats ne restent que les accompagnateurs dociles du mouvement général. Ils devraient même remercier leur maitre car,  dans l'éruption monétaire, ils récupèrent le moyen de faire face aux nouvelles dépenses publiques associées à la pandémie. De quoi leur donner une apparence de légitimité. Par contre toute tentative sérieuse de modification - même légère- des règles du jeu, par exemple un durcissement de la loi PACTE, ne pourrait que contrarier le mouvement du ROE, avec effets de contagion sur la pyramide financière qu’il faudrait restabiliser par plus de création monétaire…[11]. D'où l'interrogation populaire bien légitime: comment se fait-il que l'Etat dépense sans compter (pandémie) tout en poursuivant ses  objectifs de réformes structurelles imposées par la logique de la finance ? 

La conclusion nous semble  claire : on ne pourra pas établir un monde enviable en modifiant les règles du jeu néo-libéral mais en changeant de jeu. S’agissant de la France, cette préoccupation devrait être au centre des débats au titre de l’élection présidentielle de 2022.


[1] « L’esprit malin du capitalisme » ; Desclée De Brouwer ; 2019.

[2] Le cas de la présente course au vaccin contre la covid19 est à cet égard édifiant, les bourses connaissant un accroissement de valeur de quelque 1400 milliards de dollars en 2 séances…suite à un simple communiqué de Pfizer.

[3] C’est la thèse de James Burnham dans son ouvrage : « l’ère des organisateurs » ; Calmann-Levy ;1947.

[4] C’est la conclusion de la Thèse de Sandra  Rigot – Cotillon soutenue en 2011 à l’Université de Nanterre sous l’autorité de Laurence Scialom et Michel Aglieta : «  Stratégie et gouvernance des fonds de pension ».

[5] Au cours des années 60 le taux d’investissement des sociétés non financières était en moyenne de 24%. Il tombe à 19% entre 1990 et 2010.

[6] http://www.lacrisedesannees2010.com/2020/09/une-crypto-monnaie-souveraine-pour-la-france.html

[7] On sait que les économistes aiment distinguer cette croissance par création monétaire de celle d’aujourd’hui qu’on appelle économie de marchés financiers.

[8] C’est-à-dire des banques sélectionnées pour devenir des spécialistes en valeurs du Trésor.

[9] http://www.lacrisedesannees2010.com/2020/08/enfer-de-la-dette-ou/et-paradis-de-l-illimitation-des-ressources-financieres.html

[10] http://www.lacrisedesannees2010.com/2020/10/comprendre-la-toute-puissance-de-la-banque-centrale.html

[11] A la limite on notera qu’au titre de la pandémie,  les aides publiques aux ménages et aux entreprises financées avec de la dette immédiatement monétisée par la banque centrale, aide qui ressemble ainsi à l’hélicopter monnaie souvent vanté par les critiques du néo-libéralisme…ne fait que contribuer au bon fonctionnement de ce dernier….

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18 mai 2020 1 18 /05 /mai /2020 18:41

Les articles qui se consacrent au  monde d’après, se multiplient : grand retour de l’Etat ? reconstruction des services publics ? fin de la mondialisation ? édification de biens publics mondiaux ? etc. Ce qu’il y a de commun dans ces diverses réflexions, est finalement la fin plus ou moins annoncée du néo-libéralisme ambiant.

Nous voudrions dans ce texte préciser 2 points essentiels concernant la France et en particulier ses possibles projets de relance :

  1. La fin du présent régime de la dette au profit de sa monétisation constitue la preuve d’une production nationale insuffisante
  2. Le retour à un régime d’inflation constitue une hypothèse vraisemblable.

Le premier point peut s’appuyer sur une comparaison entre les régimes de la dette au cours de la première guerre mondiale et celui qui est déjà en place ou va venir se mettre en place aujourd’hui.

On sait déjà que le budget 2020, en raison de ses dépenses prévisibles et aussi en raison du poids des dettes passées, fait apparaitre un besoin de financement de plus de 20 points de PIB[1]. Ce besoin, d’abord pris en charge par les fonctionnaires de l’Agence France Trésor, est et sera très largement immédiatement monétisé par la BCE qui rachète une partie des dettes publiques de tous les Etats de la zone. Dans ce contexte, le « plan hôpital » pour ne prendre que cet exemple aura pour financement une simple création monétaire. Si ce plan et d’autres qui devraient suivre sont quelque chose comme un rétablissement du service public ou une reconquête de souveraineté, ou une marche vers davantage de résilience, ils révèlent aussi la vraie nature de la crise globale du pays.

De fait, la France, pour se rétablir, n’a d’autre moyen que la monétisation, en particulier celle déjà utilisée au cours de la première guerre mondiale au titre du maintien de la survie du pays. A cette époque, les choses étaient évidemment infiniment plus graves et sur 100 de dépenses de guerre moins de 16 provenaient de l’impôt. Bien évidemment, l’emprunt était lui-même très insuffisant, et l’essentiel des dépenses d’armement était financé par la Banque de France qui créditait directement le compte du Trésor. De fait, cela signifie que pour financer son effort de guerre sans monétisation il eut fallu que le PIB soit environ 6 fois supérieur à ce qu’il était à l’époque ( 100/16)[2].

Certes bien moins dramatique, nous sommes dans une situation comparable. Si le Trésor utilise, sans le dire, la monétisation c’est qu’il n’a pas les moyens d’assurer le maintien d’un service ni une forme de souveraineté élémentaire, ni de rétablir une résilience disparue. Logiquement, si la situation était saine, il utiliserait les revenus de l’impôt ou un transfert de revenus appartenant à d’autres agents (l’emprunt). Ces revenus et emprunts correspondent à des prélèvements sur une production réalisée par d’autres agents. Au-delà d’une question organisationnelle donc de productivité[3], l’origine de la monétisation présente est donc assimilable, comme l’exemple de la première guerre mondiale nous l’a montré, à une production insuffisante, laquelle renvoie à un taux de croissance trop faible. Si donc la France connait un délitement de ses services publics c’est aussi parce qu’il n’y a pas assez d’entreprises qui, en produisant, déversent les revenus correspondants (salaires, profits, etc.) lesquels, au final nourrissent le Trésor en impôts et emprunts.

Dans leur effervescence, les libéraux diront que la production est muselée, précisément par les impôts et autres prélèvements. Il faudrait donc les diminuer…avec pour conséquence une plus forte monétisation…d’autant plus forte que les entreprises sont amenées à fonctionner partiellement en mode dégradé en raison de la gestion de la crise sanitaire. D’autres économistes diront qu’il faut baisser les salaires directs et indirects…avec pour conséquence une diminution de la demande globale. D’autres enfin, considéreront qu’il faut un taux de change plus faible permettant l’augmentation de la demande extérieure et une diminution de la demande interne…donc une hausse de la production, d’où - à taux inchangé- une masse fiscale plus grande et une monétisation plus faible. Plus facile et plus rationnelle, cette solution soulève par conséquent celle de l’euro et du rétablissement de la souveraineté monétaire.

 Au-delà de désaccords qui n’abordent pas l’essentiel, à savoir la démesure financière souvent évoquée sur ce blog, le consensus se fait sur une nécessaire augmentation de la production marchande, laquelle passe par une réindustrialisation et la transformation profonde de l’agriculture. Au final l’entrepreneuriat politique tentera donc une réindustrialisation par monétarisation si possible sans toucher au dogme de la monnaie unique. Un dogme qui sera pourtant questionné en raison des conséquences ultimes de la monétisation.

C’est qu’en effet, l’hypothèse de l’apparition d’un régime nouveau d’inflation ne peut être exclue et c’est la seconde question qu’il nous faut aborder.

L’expérience de la première guerre mondiale est ici encore d’un très grand intérêt. D’une certaine façon, cette guerre s’inscrit dans un régime de croissance forte avec un contenu de plus en plus non marchand : les outils de la guerre ne sont pas des marchandises. D’une certaine façon, biens publics particuliers, ces outils sont pourtant payés très largement avec des ressources ni fiscales ni empruntées mais simplement issues de la création monétaire. Les énormes dépenses militaires sont ainsi du pouvoir d’achat largement disséminé dans le corps social, un pouvoir d’achat sans réelle contrepartie sur un marché nécessairement restreint. A l’époque le PIB non marchand (militaire essentiellement) est probablement plus important que le PIB marchand. Il en résulte mécaniquement une hausse continue des prix[4].

Si les divers plans qui vont se mettre en place, sont au moins partiellement des projets de rénovation du service public (plan santé, protection de l’environnement, transports, prise en charge de coûts de relocalisation, de transformation du monde agricole, etc.) ils auront comme les dépenses de guerre un effet inflationniste provoqué par une distribution de pouvoir d’achat sans marchandises correspondantes. Le produit marchand n’en augmentera pas pour autant si la concurrence étrangère se trouve moins affectée par le retour de l’inflation. En clair, si la monétisation est plus faible à l’étranger qu’en France, la balance commerciale française verra son déficit s’accroître. Un déficit qui sera aussi la marque de la grande difficulté du pays à se réindustrialiser. Beaucoup d’auteurs pensent que l’issue de la crise se manifestera sans inflation…ils oublient aussi que ce sera la marque d’une impossible réindustrialisation du pays. Dans ce possible  retour au régime d’inflation notons que L’Allemagne sera largement épargnée avec des besoins de financement de seulement 12 points de PIB : la monétisation de la dette est largement contrôlée. A l’inverse l’Italie, avec des besoins de financement de 30 points de PIB est très exposée. De quoi alimenter un différentiel d’inflation…qui rappelle les dangereux spreads de taux de la décennie précédente….Décidément il est impossible de quitter la redoutable question de l’euro….


[1] Environ 11 points pour le roulement de la dette, 10 pour le solde primaire, et un peu moins de 2 pour le paiement des intérêts.

[2] Sur ces points nous renvoyons à Pierre-Cyrille Hautcœur, « Was the Great War a watershed? The économices of World War I in France », in Stephen Broadberry et Mark Harrison (dir.), The Economics of World War I, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.

[3] Cette question est sans doute importante dans toutes les comparaisons notamment entre les systèmes de soins en Allemagne et en France. Toutefois, il faut comprendre que le PIB/tête en Allemagne étant plus élevé, un même poids de dépense publique (12,2 points de PIB) doit logiquement, toutes choses égales par ailleurs, produire un système de soin de meilleure qualité en Allemagne.

[4] Le niveau général des prix est ainsi multiplié par 5 entre 1913 et 1924.

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30 juillet 2019 2 30 /07 /juillet /2019 12:46

Ce titre est un peu la question que se pose Michael Vincent dans l’ouvrage : « Le banquier et le citoyen » ouvrage déjà évoqué dans l’introduction de l’article précédent publié sur ce blog, le 25 juillet dernier. Michael Vincent insiste dans sa conclusion sur l’urgente nécessité de former tout le monde : citoyens, politiques, voire banquiers et régulateurs eux-mêmes, pour bien comprendre l’enjeu posé par cette énorme industrie dont on brossait- toujours dans ce même article – quelques uns de ses principaux traits.

Nous voudrions, dans le présent texte, préciser d’autres points et tirer quelques conclusions sur les conditions nécessaires à la sécurisation de la finance.

La difficile distinction entre économie réelle et spéculation.

D’une certaine façon, le marché est toujours un pari. Entrepreneurs de l’économie réelle, Assureurs, banquiers, sont tous des spéculateurs, sur un produit ou service pour le premier, sur la probabilité d’un évènement pour le second, et sur à peu près tout pour le troisième… En effet le banquier de la moderne « banque universelle » spécule sur un produit ou service en accompagnant l’entrepreneur de l’économie réelle, spécule sur la probabilité d’un évènement, et de plus en plus spécule sur des fluctuations de prix d’actifs réels ou imaginaires, soit pour compte d’autrui soit sur compte propre.

De fait la distinction la plus efficiente est celle qui sépare des anticipations sur une demande réelle de biens ou de services (économie réelle qui s’intéresse au volume des ventes possibles), de celles qui s’intéressent aux risques d’une très forte instabilité des prix. Ce dernier risque est aussi celui qui intéresse l’économie réelle, mais de manière plus accessoire : l’entrepreneur de l’économie réelle s’intéresse  à la sécurité de son cadre d’action et pour cela se fait accompagner par des vendeurs de sécurité sur évènements probabilisables -les compagnies d’assurances- ou des évènements qui le sont moins comme les fluctuations imprévisibles des prix des consommations intermédiaires voire des produits finis. Cette distinction révèle clairement que, pour l’entrepreneur de l’économie réelle, le vrai sujet est la demande solvable pour le produit ou service qu’il génère, tandis que les fluctuations de prix sur ses consommations intermédiaires ne sont qu’un élément perturbateur potentiel. Symétriquement, les fluctuations de prix sont le vrai sujet et peut-être même le seul pour la finance. A priori, terrain de jeu ou matière première fondamentale seraient bien délimités : pari sur la demande solvable d’un côté, pari sur fluctuations de prix de l’autre.

Pour autant ,le point de départ de la finance est bien le terrain de jeu de l’économie réelle. Les compagnies aériennes investissent dans des avions en faisant le pari d’une évolution positive de la demande de transport, mais sont potentiellement victimes des fluctuations du prix du kérozène lequel constitue la dépense d’exploitation de loin la plus lourde. Ils sont prêts à s’ouvrir au marché d’un futur dans lequel ils échangent une garantie de prix alors même que l’on ignore le cours à venir du kérozène. Les acheteurs redoutent une hausse et veulent se couvrir contre cet évènement, tandis que les vendeurs anticipent une baisse et espèrent en tirer profit. Ce marché du futur fut -dans un rudiment de conceptualisation- mis en place dans la Grèce antique par Thalès de Milet qui,- faisant le pari d’une récolte abondante, acheta à prix modique le service des pressoirs pour sous-louer ensuite, à prix élevé le même service anormalement demandé en raison de l’abondance des olives à traiter. Cet exemple historique montre qu’effectivement la spéculation financière repose sur une réalité économique, mais que très vite elle est extériorisée par rapport à cette même réalité économique. Thalès n’était qu’un philosophe mathématicien, ni producteur d’olives ni propriétaire de pressoir et se trouvait transplanté dans une finance qu’il avait, de fait, engendrée. Cet exemple permet aussi de comprendre que  les marchés financiers qui feront suite à cette première expérience seront massivement occupés par de purs financiers et marginalement représentés par les vrais entrepreneurs économiques. Clairement, le marché à terme du kérozène est peuplé d’acteurs très éloignés de la matière première, de ses producteurs comme de ses consommateurs. D’où l’idée que la finance est purement spéculative alors même que sa pointe repose sur l’économie réelle.

Mais, s’il est vrai que la pointe est étroite, le corps est de plus en plus large et va donner l’impression d’une démesure de la finance. Car le problème devient celui de la gestion du risque de marché : l’acheteur transfère le risque d’une hausse du prix du kérozène venant pénaliser son activité, mais son contrat devient perdant si le prix futur baisse. Même chose pour le vendeur qui peut gagner si le cours baisse mais peut perdre s’il augmente. Ainsi le vendeur de kérozène -surtout s’il n’est qu’un financier-  peut perdre la totalité de son investissement s’il est obligé de livrer à terme l’acheteur à un prix plus élevé. C’est la raison pour laquelle la recherche de sécurité passe par un report permanent de risques et une recherche de davantage de sécurité. Acheteurs et vendeurs chercheront à se couvrir contre les risques du marché lui-même engendré et imaginé aux fins d’une recherche de sécurité. D’où l’apparition et la généralisation de produits dérivés et des options d’achats. D’où également les opérations de titrisation, le développement de CDS (Credit default Swaps) à position nue, spéculation sur compte propre, etc.  Nous avons là,, la compréhension de ce fait très connu : les contrats financiers représentent des montants sans commune mesure avec les réalités physiques des échanges, une multiplication par 100 ou 1000 voire davantage étant chose courante. La boursoufflure de la finance est-elle-même source de confiance potentielle: plus le nombre d’acteurs est important, plus le marché est profond, plus il est liquide, et plus le transfert de risque sur le marché est facile et donc plus le marché lui-même est recherché…

Les choses peuvent suivre un mouvement asymptotique si la base de la finance, donc l’économie réelle, se financiarise. Ce sera tout d’abord le cas si le monde passe progressivement d’une organisation plus ou moins planifiée avec prix plus ou moins administrés, vers une économie de marché, voire même  une société de marché. Plus le libéralisme devient le contrat social dominant et plus le moteur de la finance est alimenté par son combustible naturel qu’est la fluctuation de prix. Au plus on libère les prix, au plus ces derniers peuvent connaitre des fluctuations sur lesquelles des paris peuvent se nouer.

Ce régulateur ultime qu’est l’Etat peut lui-même donner lieu à des pyramides financières. Si , politiquement,  il est lui est interdit de fabriquer sa propre monnaie et que la dette publique qui  -par construction- en résulte, donne lieu à des contrats (spéculation sur les taux d’intérêt, spéculation sur les changes, etc.) plus la machinerie financière prend de l’embonpoint. Plus la globalisation avance et plus le combustible de la finance alimente une machine qui finit par dépasser l’ensemble de ses acteurs….d’où les étranges discours contradictoires chez les « sachants » qui ne savent plus si l’on va ou si l’on ne va pas vers une nouvelle crise financière. Le bon sens nous invite pourtant à observer qu’une pyramide reposant sur sa pointe (économie réelle) connait vraisemblablement et malheureusement un centre de gravité à l’extérieur de son périmètre de sustentation….

C’est que le travail de transfert de risque est à la fois chose très simple et chose très complexe. Parce que les fluctuations de prix sont aussi l’effet de rumeurs, d’effets d’annonce, de publicité, voire de désinformations ou de mensonges, ils donnent lieu à des courants mimétiques sur lesquelles peuvent être construites des stratégies ouvertement délictueuses. Tel fut le cas des surprimes dont l’investissement intellectuel correspondant n’avait rien à voir avec le difficile et honnête calcul économique que l’on rencontre dans l’économie réelle.

Sans même aborder ces questions de pure déontologie, il est vrai que le risque de marché toujours transféré et partagé avec une multitude d’acteurs n’est jamais évacué, d’où des tentatives intellectuelles pour éclairer ce qui apparait comme un immense désordre et en déduire des stratégies rationnelles. Des modèles mathématiques seront ainsi construits pour évaluer les risques, optimiser leur couverture, calculer les coûts de gestion du risque, etc. La finesse, la qualité et la vitesse d’exécution des algorithmes deviendront un élément de concurrence entre les différents modèles et donc entre les différentes entreprises de spéculation. La fluctuation de prix, élément périphérique de l’économie réelle, devra ainsi mobiliser les meilleurs ingénieurs qu’il faudra détourner de ladite économie afin qu’ils s’investissent dans la mathématique financière pure. Les ingénieurs désormais appelés «quants » entrent ainsi dans les salles de marchés et sont invités à délaisser les classiques préoccupations industrielles. La boursoufflure de la finance sera aussi une saignée sur les compétences mondialement connues des ingénieurs français, et -il y a peine une dizaine d’années-  33% des quants mondiaux provenaient des meilleures grandes écoles françaises. Le transfert de risque, simple périphérie du problème central de l’économie réelle en vient à manger cette dernière, sans même se rendre compte que l’incertitude qu’il s’agit de gérer n’est pas une affaire probabilisable….D’où les bavardages déplorables et continus « d’experts » dont l’écoute devient épuisante.

Un cadre juridique qui ne peut être celui d’un véritable Etat de droit.

Le commerce en général est un échange de droits de propriété donnant lieu à un gain partagé entre échangistes. L’activité correspondante peut donner lieu à des externalités. Dans le cas, le plus banal la législation intervient pour limiter les effets externe de la liberté d’échanger et débouchera sur des mesures publiques visant à internaliser les externalités potentielles. Tel est le cas du principe du pollueur payeur venant certes limiter les gains à l’échange mais garantissant le non report d’externalités sur les tiers.

De ce point de vue, la finance fait intervenir des échanges d’une toute autre nature et les échangistes gagnent en reportant sur d’autres acteurs les risques de marché. Et c’est précisément cette activité de report qui explique le gigantisme des marchés correspondants. Alors que dans le monde traditionnel, l’internalisation des externalités est possible et souvent vérifiée, le monde de la finance fait de l’échange le moyen dont le but est l’externalisation. Si le transfert de risque n’était pas possible les marchés financiers n’existeraient tout simplement pas.

Cette différence de la nature profonde de l’échange entre monde classique et finance est du reste inscrite dans l’article 1965 du code civil français - article repris dans les mêmes termes dans  nombre de codes étrangers- lequel stipule que « la loi n’accorde aucune action pour dette de jeu ou non exécution d’un pari ». De fait le législateur de l’époque n’acceptait que les actions sur le cadre d’un échange que l’on concevait comme réel : les titres de propriétés sur les biens ou services échangés sont-ils clairs ? Y-a-t-il tromperie sur la qualité des bien échangés ? l’échange était-il libre et volontaire ? etc. Nous ignorons largement ce qui animait le législateur lors de la rédaction de cet article. On peut toutefois penser qu’il s’agissait d’un fondement construit sur nombre d’expériences historiques jugées négatives. On peut aussi penser qu’il s’agit d’un avatar de l’interdit de la chrématistique chère à Aristote : finalement on peut accepter le gain à l’échange…encore faut-il qu’il corresponde à des valeurs d’usage concrètes…

Permettre l’externalisation à échelle infinie de contrats financiers entre acteurs supposait ainsi de tordre le cou au droit classique, ce qui sera obtenu dans le cadre de la loi du 28 mars 1885 par son article 1 qui énonçait : « tous marchés à terme sur effets publics et autres, tous marchés à livrer sur denrées et marchandises sont réputés légaux. Nul ne peut, pour se soustraire aux obligations qui résultent d’opérations à termes, se prévaloir de l’article 1965 du Code Civil, lors même que ces opérations se résoudraient par le paiement d’une simple différence ». Tous les textes modernes se rapportant aux contrats financiers, textes rassemblés dans le très volumineux Code Monétaire et Financier, devaient valider et étendre la portée de la loi de 1885. Alors que le droit classique cherche à limiter les externalités au nom du respect des droits de propriété et au final de la qualité du vivre ensemble, le droit financier ne peut assurer le fonctionnement normal de l’industrie financière que sur la base du transfert incessant de ce qui peut aussi être la « patate chaude » avec au final une logique de « bail-out » qu’il est de fait quasi -impossible de réduire : les contribuables doivent être au final les payeurs des catastrophes financières.

Ce qui peut apparaitre comme un interdit pour l’industrie financière de rejoindre le droit commun se vérifie en permanence dans les laborieuses tentatives de régulation. Alors que le droit classique permet par le contrôle des externalités de limiter des effets de contagion, le droit financier s’en trouve – par essence- bien incapable. La vérification de cette incapacité peut se lire - au-delà de la trop classique et bien connue « Union Bancaire »- en prenant l’exemple de « l’ European Market Infrastructure Regulation » (EMIR). Il s’agit d’un texte visant à réduire les risques de marché et de crédits généralement associés – donc les paris dangereux sur fluctuations de prix- en rendant obligatoire le mécanisme de la collatéralisation via un une contrepartie centrale. Le collatéral ou l’appel de marge est une somme déposée en chambre de compensation permettant de gager les contrats et faire en sorte que le jeu de l’externalisation par défaut donne lieu à une contagion et donc une crise financière. Imaginée dès 2012, sous l’impulsion concrète du « comité de Bâle » et de « l’Organisation Internationale des commissions de valeurs » (organisme rassemblant les principaux régulateurs boursiers mondiaux) la directive correspondante ne se met en place que fort difficilement et son efficacité est incertaine.

Mise en place difficile car la collatéralisation et les chambres de compensation sont couteuses ce qui fait que  dans un premier temps (2016), ne furent concernés que les acteurs les plus importants, ceux dont la valeur notionnelle des portefeuilles étaient supérieure à plus de 3000 milliards de dollars. La résistance reste forte chez las acteurs plus modestes (acteurs industriels disposant d’une salle de marché) et l’obligation des marges de sécurisation vient d’être reportée à 2021…alors que la directive est publiée depuis 2012.

Mais efficacité douteuse car d’une part il s’agit d’une mesure procyclique et le collatéral consiste à dépenser de l’argent au moment où on en a le plus besoin, et d’autre part il y a report au moins partiel du risque sur les chambres de compensation qui deviennent elles-mêmes « to big to fall »…. Avec le « bail-out » correspondant c’est-à-dire la ponction du citoyen.

Nous restons ainsi dans une situation qui n’est pas véritablement celle d’un Etat de droit, c’est-à-dire – même sans parler de démocratie- un Etat capable de faire respecter le vivre-ensemble sur la base d’un relatif respect de la sécurité des règles du jeu.

Il semble que les choses se compliquent encore davantage avec la dette publique dont on oublie trop souvent qu’elle sert et servira toujours davantage de collatéral sur tous les marchés. Si les taux deviennent durablement négatifs sur les meilleures dettes, c’est aussi parce que la dette publique correspondante est fortement demandée, que l’on accepte de payer pour en disposer… aux fins de disposer de la matière première devenue indispensable sur les marchés financiers. Sans dette publique sûre quel collatéral serait-il accepté sur les marchés aux fins de continuer à spéculer sur des fluctuations de prix ? On comprend ainsi que la remontée des taux n’est guère envisageable pour les banques centrales car cela aboutirait à des difficultés insurmontables sur le marché du collatéral et l’équilibre de l’industrie financière. Mieux la spéculation sur l’approfondissement des taux négatifs rend plus solides les contrats financiers… Avec des conséquences inverses sur la rentabilité des banques,  la difficulté à attirer du capital et des encours de crédit qui ne progressent plus.

L’énorme pyramide financière n’est pas simplement dangereuse, elle est aussi improductive.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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1 février 2015 7 01 /02 /février /2015 08:48

                                                               

Plusieurs scénarii sont envisageables à partir des changements intervenus à Athènes.

 Scénario 1 : La double inflexibilité du gouvernement Grec et de Bruxelles

Plusieurs étapes sont à envisager et ce à l'échelle de quelques semaines :

- Les retraits sur dépôts bancaires (11 Milliards en janvier sur un total de 160) se poursuivent

- La BCE gèle le dispositif « ELA » d’assistance à la liquidité[1].

- Le Bank run met en faillite les banques.

- Le gouvernement procède à la saisie du système bancaire et exige de la Banque centrale un financement illimité.

- Un strict contrôle des changes se met en place..

- La BCE ferme le compte TARGET 2[2]

- Le gouvernement rétablit la souveraineté monétaire et procède à une dévaluation massive (80%).

-Constatation d’un effet de richesse pour les acteurs du Bank run.

- Le gouvernement annule la dette.

- La crise économique s’aggrave considérablement en Grèce.

- La cohésion bruxelloise est mise à mal au regard des questions géopolitiques (Ukraine/Russie) pour lesquelles la Grèce peut être un acteur majeur.

Ce scénario de l'inflexibilité laisse supposer que l'on se bat autour de l'exemple irlandais du refinancement illégal par la BCE. Il faut en effet se rappeler  qu'en février 2013, suite à un certain nombre de péripéties, concernant le système bancaire irlandais fortement adossé sur des banques françaises et allemandes, le Trésor Irlandais a pu émettre des obligations directement monétisées par La BCE. A l'époque, l'Allemagne avait accepté en raison de la très forte exposition de son système bancaire. Elle n'est plus aujourd'hui dans la même situation et sera donc inflexible. En revanche, le gouvernement grec sait qu'il y a déjà eu viol des traités, il peut donc revendiquer un cadeau équivalent à celui de l'Irlande : son inflexibilité potentielle se nourrira de l'exemple Irlandais.

Cette confrontation dure est de fait une confrontation entre l'Allemagne et la Grèce. Au niveau européeen elle débouche sur des conséquences différentes selon ses effets sur les marchés. Deux cas peuvent se présenter :

  1) Les marchés restent insensibles au départ de la Grèce.

- Les taux sur dettes souveraines des Etats créanciers ( alourdies de 42,4 milliards pour la France, mais aussi de 37, 3 milliards pour l’Italie et 24,8 milliards pour l’Espagne ) restent inchangés

- Le montant des défauts est constaté et donne lieu à un accroissement de la dette des Etats (environ 2% pour la France, l’Espagne et l’Italie). Cette faiblesse est l’argument principal en faveur de cette alternative.

- Les Etats acceptent le principe de la recapitalisation de la BCE (25 milliards d’euros).

- Le maintien des règles budgétaires bruxelloises aggrave la crise de la demande globale.

- Le maintien au pouvoir des oligarchies européistes est probable au vu de l’effondrement grec (Il sera difficile pour PODEMOS de gagner si la Grèce - en situation de crise aggravée- quitte la zone).

Ce cas de figure n’est pas improbable. Il est néanmoins contestable en raison de l’hétérogénéité de la zone euro. Il l’est aussi au regard d’une exigence de recapitalisation de la BCE par l’Allemagne, ce que contesterait la France et d’autres pays[3]. Il l’est enfin au regard de l’aggravation de la crise qui, mécaniquement, fera monter les dettes publiques au-delà du strict défaut grec. D'où le second cas de figure.

2) Les marchés réagissent sur les maillons faibles.

- Les dettes publiques espagnole et italienne sont attaquées et le spread de taux avec le bund[4] Allemand explose.

- La chute des cours sur titres publics affecte la solvabilité des systèmes bancaires correspondants.

- Un Bank run se met en place. Le dispositif ELA s’avérant rapidement impuissant.

- La BCE utilise massivement l’arme de l’OMT[5].

-Lla coalition gouvernementale  allemande cède à la pression de ses électeurs et quitte la zone euro.

Scénario 2 : Bruxelles accepte les exigences grecques

- Les marchés ne réagissent pas et savent désormais qu’il y aura toujours un prêteur en dernier ressort.

- Les autres maillons faibles (Italie, Espagne, Portugal, Irlande) exigent un traitement équivalent.

- L’Allemagne refuse.

- Les oligarchies européistes ( Espagne notamment) sont menacées avec l’arrivée au pouvoir d’entrepreneurs politiques type SYRIZA (Décembre 2015 ?).

- La fin de l’année 2015 correspond,dans ce scénario, à une amplification considérable de ce qui s'est passé en janvier 2015  (le poids de l’Espagne est 6 fois supérieur à celui de la Grèce).

- L’Allemagne quitte la zone euro.

Ce scénario rejoint le premier dans la seconde alternative.

Scénario 3 : SYRISA trahit ses électeurs.

Ce scénario est celui fort classique d'un parti qui ne respecte pas ses engagements électoraux. Il correspondrait aux étapes suivantes :

- Les marchés sont confortés dans l’idée de stabilité et les taux restent inchangés.

- La politique bruxelloise  et les oligarchies européistes sont confortées.

- La vision Allemande de la monnaie s’impose et l’Allemagne peut rester dans la zone.

- La Grèce se marginalise ( monnaie de plus en plus destructrice par son taux de change) avec les risques politiques associés.

- Les cures austéritaires se maintiennent dans le sud de l’Europe.

Ce scénario est à priori assez peu probable au regard des premiers choix de SYRISA au moment où ces lignes sont écrites.

Il n’est donc pas inimaginable de penser que la "petite Grèce" – dont les difficultés resteront cependant énormes - viendra à bout d’une Allemagne qui, classiquement - à l'instar de beaucoup d'autres pays- ne peut  se réformer et reste figée dans ses croyances.

Les formes prises par l'interaction sociale en Allemagne ont valu à ce pays une responsabilité historique déterminante au cours du siècle passé. Ce poids reste fondamental en ce début du 21ème siècle. Hormis quelques auteurs dont le regretté Ulrich Beck, peu d'intellectuels Allemands s'en rendent compte.

 

 

[1] Il s’agit d’un dispositif (Emergency Liquidity Assistance) mis en place par la BCE qui permet aux banques centrales de venir assouplir les questions de Trésorerie des banques de second degré dont elles ont la charge.

[2] Il s’agit d’un dispositif qui permet l’enregistrement des opérations extérieures de chacun des pays de la zone euro dans ses échanges avec d’autres pays de cette même zone. Les comptes TARGET2 figurent aux bilans des banques centrales nationales.

[3] L’Allemagne considère toujours qu’une Banque centrale peut faire faillite (Cf.mon article : "Non Madame Merkel, la BCE ne peut pas faire faillite !)  et doit par conséquent être solidement capitalisée. Ce point de vue, complètement erroné en raison du fait qu’une banque centrale est prêteuse en dernier ressort et qu’à ce titre son pouvoir de création monétaire est illimité, correspond bien aux croyances et intérêts Allemands. Le peuple Allemand dans son entièreté est très habité par cette croyance qui ferait qu’une Banque centrale ne pourrait fonctionner sans capital.

[4] Bon du Trésor Allemand.

[5] Il s’agit des opérations monétaires sur titres (Out Monetary Transactions) qui permettent à la BCE d’apporter des liquidités aux banques contre un collatéral de titres privés et publics. Mario Draghi avait déclaré le 6 septembre 2012 qu’il mettrait tout en œuvre avec ce dispositif pour maintenir la cohérence de la zone euro.

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