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27 septembre 2016 2 27 /09 /septembre /2016 14:11

 

Les programmes des candidats classiques à l’élection présidentielle placent en « tête de gondole » la baisse de la pression fiscale. Ils ont sans doute raison puisque le produit politique qui en résulte est électoralement plus attractif que la réduction du déficit budgétaire ou la baisse de la dépense publique. La course au moins-disant fiscal est ainsi l’effet du fonctionnement normal de la concurrence sur les marchés politiques.

Les modèles économétriques qui devraient sous-tendre et justifier les propositions correspondantes brillent par leur discrétion et il est vrai que le raisonnement économique est absent des programmes proposés.

Tentons de briser cette carence et envisageons de façon précise et argumentée les effets d’une forte diminution de la pression fiscale dans la France d’aujourd’hui.

 

LE CARACTERE IRRATIONNEL DES PROPOSITIONS DE DIMINUTION DES PRELEVEMENTS PUBLICS OBLIGATOIRES.

 

La diminution des prélèvements fiscaux peut se porter soit sur les ménages, soit sur les entreprises.

 1 -  Diminution du prélèvement sur les ménages.

Dans le cas des ménages[1] il en résulte mécaniquement une hausse des revenus avec interrogation sur leur répartition entre consommation additionnelle et épargne additionnelle. La consommation additionnelle peut entrainer une relance freinée par la propension marginale à importer. C’est effectivement le cas puisque, selon Natixis, 1 euro de hausse de demande intérieure génère 70 centimes d’importations supplémentaires[2]. Quant à l’épargne supplémentaire, elle reste largement accumulée[3] et ne génère aucune demande supplémentaire sous la forme d’investissements. La baisse de la fiscalité profite en retour aux pays fournisseurs de la France.

Effets très faibles mais prix très élevé puisqu’une telle baisse correspond mécaniquement à un déficit public accru d’un même montant. Sans doute pourrait-on financer la baisse de la pression fiscale par une diminution de la dépense publique pour un même montant, mais cela aurait pour effet de diminuer la demande globale et donc les débouchés pour d’éventuels investissements additionnels.

Le résultat est donc globalement négatif : choisir la baisse de la pression fiscale sur les ménages est avantageux car populaire sur le marché politique et désastreuse pour un pays qui n’a cessé de se désindustrialiser.

2 -  Diminution du prélèvement sur les entreprises.

Une première façon d’affaisser les prélèvements est de continuer à diminuer les charges sociales sur les bas salaires. Sachant que ces charges déjà rabotées par les dispositifs « Fillon » et « CICE » ne représentent plus que 7,3% au niveau du SMIG, il y a peu à gagner en terme de marge, le prix à payer étant, là aussi, la hausse du déficit ou la baisse de la dépense publique. Dans cette dernière hypothèse la hausse de marge ne se transforme pas aisément en investissements puisque les débouchés se raréfient du même montant. Certes, la marge nouvelle pourrait-elle être utilisée à des investissements de productivité renforçant la compétitivité. Toutefois, la mesure proposée favorise plutôt les productions bas de gamme et n’est pas une incitation à la robotisation : le coût relatif du travail par rapport au capital diminue et n’incite pas à la réallocation des facteurs vers une utilisation plus massive de capital.

Une telle mesure n’est donc pas souhaitable du point de vue de l’intérêt du pays.

Une façon plus intelligente de baisser les prélèvements est de les cibler sur les emplois plus productifs des activités exposées à la concurrence internationale. Il existe là une opportunité en raison de la relative bonne élasticité-prix des exportations françaises.[4] A déficit public inchangé il y aurait donc à comparer la hausse de la demande internationale et la baisse de la dépense publique. Le calcul révèle pourtant que l’élasticité est insuffisante pour obtenir un accroissement net de la demande. Et une élasticité beaucoup plus élevée ne serait rencontrée que si la France était beaucoup mieux placée dans l’échelle de la compétitivité coût …. Soit celle de l’Europe du sud. Clairement, il faudrait une diminution radicale du coût du travail….Notons, ce qui n’arrange pas les choses, qu’une baisse des prélèvements sur les salaires pourrait aussi bien se matérialiser par une hausse des salaires nets[5] et donc une hausse des revenus avec les effets négatifs déjà exposés.

Une dernière façon d’envisager la baisse de la pression sur les entreprises est de diminuer l’ensemble des autres impôts. Dans ce dernier cas de figure, il y a bien augmentation de la rentabilité des entreprises….payée par un déficit accru ou une dépense publique plus faible. La question est donc de savoir si la rentabilité accrue sera à l’origine d’un investissement plus élevé avec effets multiplicateurs sur la demande globale.

En théorie, il s’agit d’une solution efficiente si la hausse de la rentabilité ne se trouve pas minée par de nouvelles exigences salariales ou actionnariales. Mais un autre facteur vient limiter drastiquement l’efficience de la baisse de la pression fiscale sur les entreprises : le comportement des pays qui peuvent jouer sur le taux de change d’une part, et celui des pays dont les modèles sociaux parce que plus fragiles sont socialement plus facilement démontables que celui de la France. Natixis nous rappelle ainsi que les efforts de compétitivité de la France ont en très peu de temps été largement effacés par la baisse de la livre sterling et l’effort de compétitivité coût de l’Espagne[6].

Vers un effondrement civilisationnel ?

Plutôt que de regarder le doigt, il vaut mieux regarder la lune et les candidats à l’élection présidentielle feraient bien de poser le vrai problème : les règles du jeu imposées par la monnaie unique développent une concurrence qui, privée de l’arme du taux de change, se reporte sur les seuls coûts. Bien évidemment ces règles sont éminemment favorables aux gagnants de la mondialisation qui au nom de la concurrence en veulent plus et exigent le démantèlement de tout ce qui fait la nation. Il faut en effet comprendre que la baisse des prélèvements publics (cotisations sociales diverses et impôts de toute nature) est devenue le grand moteur de la concurrence destructrice du vivre ensemble : il génère un double déséquilibre : économique et social aux conséquences politiques dramatiques.

Le déséquilibre économique est simple à comprendre puisque la baisse des coûts a pour contrepartie une baisse de la consommation globale non compensée par une élévation de la proprension à investir. Ce déséquilibre pourrait se colmater par une montée du déficit public….lequel est interdit et par les règles …et par le marché de la dette publique effrayé par une montée de spreads de taux. Ce même déséquilibre devient l’avantage compétitif de ceux qui veulent se sortir du naufrage collectif : L’Espagne rogne sa demande interne pour être compétitive et obliger la France à entrer dans la danse de la diminution de sa demande globale interne. La concurrence agonistique, ou à tout le moins non coopérative, aboutit ainsi à l’impossible réduction d’un chômage qu’on ne peut plus financer par un Etat social qui perd progressivement ses ressources. Si dans les premiers temps de la crise il était possible de financer les dépenses sociales croissantes par une dette croissante, cela n’est évidemment plus le cas aujourd’hui.

Les règles du jeu de l’euro et au-delà de la mondialisation sont de par leur fonctionnement propre, consommatrices de « moins-disance » de prélèvements et, conséquemment, destructrices des anciennes formes de l’Etat social. Jadis, dans le cadre des espaces nationaux, la concurrence était à l’inverse déployée dans un contexte de montée homogène des prélèvements publics obligatoires eux-mêmes assis sur les gains de productivité. Dans un cas, une concurrence organisatrice de la construction d’un Etat social, et dans l’autre cas une concurrence destructrice de ce même Etat. Jadis la montée des prélèvements publics obligatoires, certes contestée par les dirigeants d’entreprises, n’affectait pas les conditions de la concurrence, puisque les mêmes règles s’imposaient à tous. Désormais l’unicité de la monnaie met à nu des règles inégales dans le jeu économique. La solution devient ainsi spontanément une course à l’éradication progressive des prélèvements…un peu comme la foule qui, prise dans un incendie, se dirige vers une porte de sortie trop étroite dans un mouvement de panique aux conséquences catastrophiques.

Et ce catastrophisme est amplifié par l’apparition de raisonnements délirants : à la « surface des faits » il apparait que l’Etat n’a plus les moyens de jadis (« on ne peut plus payer et il faut abandonner l’assistanat », message répété en boucle…[7]) alors que réellement les règles européistes interdisent – de façon bien sûr involontaire- l’épanouissement d’une croissance possible, un marché de l’emploi plus dynamique et un recul du périmètre (ou du « marché ») de l’Etat social.

Le déséquilibre social est tout aussi simple à comprendre et n’est que la conséquence du déséquilibre économique. Ce déséquilibre correspond à de multiples réalités qui touchent plus particulièrement la société française[8] : développement vertigineux des inégalités de revenus et surtout de patrimoine[9], apparition des « winer-take-all », stagnation du niveau des salaires des classes moyennes, rendements décroissants des études et dévalorisation sociale des diplômes, insécurisation croissante des contrats de travail et des supports sociaux qui leur correspondent, mobilité descendante, déclassement résidentiel, fin de la croyance à l’idée de progrès, fin de l’enracinement dans les organisations politiques ou syndicales,  prise de conscience de la perte de contrôle des institutions démocratiques, communautarisation de la société, etc.

Mais la sortie de la toile d’araignée  des  « règles » est très difficile.

Il est probable que les différents candidats n’ignorent pas le caractère irrationnel de leurs programmes. Mais ils savent peut-être aussi que le rejet des règles européennes reste impopulaire et éminemment dangereux. Parce que l’Euro est un Talisman, et à ce titre objet de vénération, on ne peut s’en séparer. Parce que la mondialisation est l’épanouissement de la liberté, on ne saurait la museler. Le produit politique « fin de l’euro » ou « rupture avec la mondialisation » ne dispose pas encore d’un solide marché.

Au-delà, il est d’une certaine façon déjà trop tard et le retour à la maitrise du taux de change ne peut donner de résultats immédiats en raison de l’état de déliquescence du tissu économique. Nous avons souvent signalé que les élasticité-prix aussi bien à l’exportation qu’à l’importation étaient devenues trop faibles en raison d’un euro qui les rabote depuis maintenant plus de 10 ans[10]. Dévaluer avec une élasticité-prix à l’importation strictement égale à zéro n’entraine qu’une baisse de la demande globale, tandis que les exportations additionnelles attendues sont limitées par la hausse des prix des consommations intermédiaires importées. Reconstruire des élasticité-prix efficaces suppose une recomposition des chaines de la valeur, donc un moyen ou long terme incompatible avec le court termisme des marchés politiques.

Il en résulte un risque de « collapsologie »[11] qui ne se déduit pas nécessairement de la question écologique mais à l’inverse de choix macroéconomiques désastreux.

L’euro fut d’abord une libération allant dans le sens de la « mondialisation heureuse ». Il permettait de ne plus subir la contrainte des échanges extérieurs et des ajustements douloureux sur le marché des changes. Il permettait aussi des taux sages sur le marché de la dette publique. Il permettait également une croissance facile pour les moins avancés (Espagne, Grèce, etc.) Il permettait enfin à l’Allemagne non seulement de ne plus être victime des ajustements monétaires de ses voisins, mais surtout de profiter du déficit sans pleurs des cigales dont elle favorisait la naissance et l’épanouissement[12]. Cet outil générant le bonheur de tous, devait logiquement se transformer en objet de culte, ce que nous avons appelé « l’euro Talisman »[13].

Avec le temps, pour les cigales mécaniquement engendrées par le simple fonctionnement de la zone, y compris la France, l’inflation de dettes s’est nourrie tout aussi mécaniquement de la perte d’activités : parce que la compétitivité est lourdement handicapée par un taux de change irréaliste, et que l’importation est facile, des pans entiers de productions nationales disparaissent aves les emplois correspondants. En retour, la base productive plus étriquée réduit la masse des prélèvements publics et aggrave le flux de dettes.

D’année en année, l’écart entre les nouveaux besoins sociaux issus du démantèlement de l’outil de production et l’offre possible de services sociaux se creuse. Un écart qui deviendra abîme lorsque les politiques restrictives se mettront en place et qu’elles viendront rogner les investissements constructeurs de l’avenir. Petit à petit la spirale du déclassement se met en place et la soutenabilité générationnelle du modèle socio-économique n’est plus assurée. L’aveuglement politique débouche ainsi sur un monde socialement inacceptable. Le modèle socio-économique de l’ile de pâques générant le monde des « Moaï » pouvant ainsi être comparé à celui de la zone euro : Ici une aliénation politico/monétaire, là une aliénation politico/religieuse, deux variantes parmi d’autres susceptibles de produire les mêmes effets, c’est-à-dire un effondrement civilisationnel.

Les candidats à l’élection présidentielle de 2017 feraient bien de ne plus s’intéresser au sexe des anges.

 


[1] Cotisations sociales des ménages+ impôts directs des ménages + TVA. On pourrait aussi ajouter les hausses de revenus procurées par la suppression des cotisations sociales sur les services à la personne que l’on trouve dans certains programmes.

[2] Flash Economie du 19 septembre 2016- 936.

[3] Les baisses ciblées d’impôts telles celles frappant les revenus d’actifs risqués étant d’effet peu significatifs.

[4] 0,8 selon Natixis.

[5] Hypothèse qui s’est déjà historiquement matérialisée et qui n’est pas irrationnelle : la hausse du salaire net ne vient pas rogner les marges si la dite hausse se trouve financée par la baisse des charges. Mais on peut aussi penser que la baisse des prélèvements entraine une hausse des dividendes.

[6] Flash Economie du 16 septembre 2016- 939. Parce que partenaires importants de la France les comportements de la Grande Bretagne (baisse de 10 points de taux de change) et de l’Espagne (baisse considérable des coûts salariaux) ont annulé 50% de l’amélioration de la compétitivité-coût de la France. Sur le plan microéconomique il peut y avoir des exceptions et par exemple une entreprise comme Valeo dont les sites français exportent 72% de leur production, supporte  avec 17% des effectifs mondiaux 50% de ses charges sociales mondiales. Son Président, Jacques Aschenbroich, considère qu'il faut évidemment réduire ce poids pour perenniser la compétitivité de l'entreprise. Ce même président pourrait se rendre compte qu'un  changement de parité monétaire permettrait sans réelle douleur d'assurer la compétitivité de l'entreprise, voire de relocaliser des sites sur le territoire français.

[7] Ce qui est visible est l’assistanat, ce qui est invisible est la réalité : un choix de règles dont le fonctionnement concret déclasse puis marginalise d’abord les individus les plus fragiles, puis d’autres pourtant mieux armés. Parce que le processus est l’inverse de ce qui s’était historiquement produit (trente glorieuses) il n’est pas socialement admis et, assistés et Etat social, deviennent des irresponsables et des coupables.

[8] On pourra ici se reporter à l’ouvrage de louis Chauvel : « la spirale du déclassement – Esai sur la société des illusions » Seuil – 2016.

[9] On parle aujourd’hui d’une repatrimonialisation que les 30 glorieuses avaient largement estompé.

[10] S’agissant de la France les modèles économétriques donnent les chiffres suivants ; O,8 pour l’élasticité-prix à l’exportation et zéro pour l’élasticité-prix à l’importation.

[11] Cf l’ouvrage de Pablo Servigne et Raphaël Stevens : « Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes »- Seuil- 2015.

[12] Comprenons en effet que ceux qui allaient entrer dans ce qu’on appelait « pays du club med » vont devenir victimes d’un taux de change immuable et surtout inapproprié, taux devant dévaster l’industrie manufacturière locale au profit d’importations massives financées par la délocalisation des banques du Nord et facilitées par la Grande Distribution elle-même déjà mondialisée. La Grèce restera de ce point de vue un cas d’école.

[13] http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/08/l-euro-le-talisman-qui-a-bientot-fini-de-detruire-l-union-europeenne.html

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12 septembre 2016 1 12 /09 /septembre /2016 13:52


Deux études viennent confirmer l’inadéquation du taux de change de la France vis-à-vis de l’ensemble de ses partenaires européens ou non.

La première, issue du Think Tank « La fabrique de l’industrie »  réalisée par Pierre Noël Giraud et Philippe Frocrain révèle que lorsque 100 emplois exposés à la concurrence internationale apparaissent dans un bassin d’emplois de France métropolitaine, 64 emplois abrités supplémentaires apparaissent dans la zone. L’inverse étant approximativement constaté, cela signifie que le secteur exportateur ayant perdu 200000 postes entre 1999 et 2013, il a entrainé derrière lui la fermeture d’un nombre considérable de postes abrités. Les variations de l’emploi du secteur exposé développent donc des externalités sur l’emploi abrité et des liens qui sont pour partie des liens mécaniques mais pour partie aussi des déversements de revenus d’autant plus importants que les rémunérations du secteur exposés sont plus élevées  et traduisent des gains de productivité eux-mêmes plus élevés.

Vu de plus haut cette première étude révèle par conséquent qu’un taux de change trop élevé affaiblit la compétitivité du secteur exposé avec toutes ses conséquences sur l’emploi du secteur abrité. Mais aussi avec toutes ses conséquences sur la croissance puisque c’est le secteur exposé qui génère, le plus,  les gains de productivité et donc la croissance.

La seconde étude est celle de de 2 chercheurs, Pierre-André Buigues et Denis lacoste, de la Toulouse Business School qui se sont intéressés aux modalités de développement des entreprises multinationales allemandes et françaises. Deux paramètres parmi d’autres sont ainsi livrés à une analyse comparative du processus d’internationalisation :

Le déploiement international s’opère davantage par des exportations côté allemand et davantage par investissements directs à l’étranger côté français. Le stock d’investissements directs à l’étranger des entreprises françaises représentant 59,1% du PIB français, tandis que ce même stock ne représente que 43,3% du PIB côté Allemagne. Les deux chercheurs en déduisent que ces stratégies différenciées sont à rapprocher des évolutions du commerce extérieur des 2 pays, défavorable côté français et favorable côté allemand.

Le déploiement international des entreprises allemandes obéit à un modèle de division du travail assez clair : R§D non délocalisé, assemblage sur territoire national, composants délocalisés. Le même déploiement français aboutit plutôt à lé délocalisation de la plupart des maillons de la chaine de la valeur avec réimportation de la production finale. Ainsi en 2011,  74% des importations françaises de la branche automobile étaient constituées de voitures (59% dans le cas de L’Allemagne) et 26% de pièces détachées ( 41% dans le cas de L’Allemagne).

La stratégie française de redéploiement prend parfois des proportions inquiétantes avec notamment l’implantation à l’étranger de toute une branche. Tel est le cas de Renault et PSA au Maroc avec un déménagement quasi complet transformant peu à peu le pays en futur « Grand » de l’automobile. Il est ainsi prévu qu’en 2020 la production du pays sera de 1 million de véhicules produits par 175 000 salariés[1].

Cette seconde étude n’aborde que de façon elliptique les causes profondes de la stratégie différenciée de l’internalisation en mentionnant qu’il s’agit probablement d’un problème de compétitivité. Effectivement l’Allemagne disposant d’un taux de change favorable n’est pas pénalisée par le maintien des pièces centrales de la chaine de la valeur sur le territoire national, ce qui n’est pas le cas de la France dont le taux de change est trop élevé.

La première étude fort différente aboutit toutefois à la même conclusion : le secteur exposé qui représentait en 1999 30% du total des emplois, n’en représente plus que 26,8% en 2013 en raison de la compétitivité faible du pays.

Plus globalement avec un taux de change faible pour une production haut de gamme, l’Allemagne voit ses exportations garanties et peut même constater une baisse de son élasticité-prix des exportations en volume (0,40 sur la période 2002/2016, mais seulement 0,28 sur la période 2006/2016)[2]. A l’inverse, la France, avec un taux de change trop élevé par rapport à sa production plus orientée moyenne gamme, voit ses exportations à la peine et peut constater un maintien de son élasticité-prix à l’exportation (0,75) un chiffre plus élevé témoignant de sa plus grande sensibilité à l’effet prix.

Compte tenu de ses deux études et sachant que du point de vue des importations l’ élasticité correspondante est pour la France strictement égale à zéro[3], Quelles sont les priorités d’une politique industrielle libérée de la gangue de la monnaie unique ?

Logiquement, la politique industrielle d’un pouvoir libéré devrait obéir aux priorités suivantes :

1 - Mettre tout en œuvre pour générer des activités substitutives des importations afin de lutter contre les effets catastrophiques de l’élasticité/ prix des importations qui reviendrait à une augmentation importante des prix et donc des revenus correspondants. Avec des effets de second tour sur la demande globale. Cela passe aussi par des incitations puissantes à la relocalisation avec par exemple une aide égale aux charges sociales nouvelles générées par les nouveaux emplois relocalisés…donc une aide signifiant l’équivalent d’un zéro charges sociales pour tout emploi créé dans une activité de substitution.

L’aide à la relocalisation se doit de concerner toutes les activités c’est-à-dire les unités d’assemblage, mais aussi les unités de fabrication des composants. Il est en effet évident que c’est l’ensemble d’une chaine de valeur qui est concernée,  faute de quoi une unité d’assemblage relocalisée serait quand même pénalisée malgré l’aide en raison des surcoûts des intrants frappés par la baisse du taux de change. Un tel processus bien mené doit donc logiquement aboutir à un raccourcissement important des chaines de valeur[4]. Dans la pratique cela peut signifier des « contrats de relocalisation » avec préfinancement couvrant les coûts du redéploiement.[5] A terme la compétitivité nouvelle n’est plus assurée par un quelconque CICE budgétairement très coûteux mais par un changement de parité, lui-même accompagné d’investissements de capacité et de productivité.

Pour les branches dont l’élasticité/prix à l’importation n’est pas nulle mais reste très faible, le contrat de relocalisation se transforme en contrat de développement et se trouve assorti d’une aide. Il s’agit ici de dynamiser une activité en l’incitant - non pas à élever les prix et donc les marges et de capter les bénéfices de la dévaluation- mais à répondre à la demande et à embaucher. Là encore,  l’aide se fixe à la hauteur des nouvelles cotisations sociales résultant de l’embauche. Et Là encore le coût budgétaire est nul.

Resteraient à envisager les substitutions d’importations non pas par relocalisation mais par création d’activités nouvelles interdites jusqu’alors par l’inadaptation du taux de change. Il s’agit du cas le plus difficile, difficulté allant jusqu’à l’impossibilité temporaire de rassembler les compétences nécessaires issues de métiers disparus ou de métiers non validés sur le territoire.

Globalement,  il reste toutefois que le processus n’est pas simple, qu’il exige du temps, et qu’il n’est pleinement efficace que si les prix internes des nouvelles productions nationales rejoignent les prix des anciennes marchandises substituées. A défaut la demande globale interne restera affectée par le retour à la monnaie nationale.[6]

2- C’est la raison pour laquelle la seconde priorité sera de choisir délibérément l’industrie -et l’industrie haut de gamme- pour anticiper sur les gains de productivité à venir. Le haut de gamme ou tout simplement la modernisation de l’appareil productif doit en effet permettre d’assurer l’ancien pouvoir d’achat qui résultait de la force de l’euro. Il s’agit d’abord comme objectif prioritaire d’assurer le nivellement entre les productivités générant les anciennes importations et celles générant les nouvelles productions nationales. Cela passe évidemment par des investissements massifs publics et privés. Et cela passe par des investissements à classer en fonction de l’importance des externalités positives qu’ils sont capables d’engendrer. Clairement cela passe par ce qu'on appelle le "manufacturing 4-0", avec les robots collaboratifs, les dispositifs de réalité augmentée, l'Internet industriel, etc. le tout facilitant la "customisation de masse" et souvent la production locale au profit de débouchés locaux.

Auparavant, et à titre conservatoire, cela suppose la multiplication de contrats d’innovation qui permettront pour les usines installées de ne plus être menacées de perdre leur stock d’apprentissage par la financiarisation de leurs activités[7] .

Les investissements publics doivent d’abord assurer la qualité de la liaison entre les maillons des chaines de la valeur en voie de reconstitution. Ils doivent donc assurer la qualité et la fluidité des infrastructures de base. Ils permettent aussi de mobiliser massivement les chômeurs éloignés des compétences exigées par l’industrie et les services haut de gamme. Il faut en effet préciser que la réussite c’est aussi la rapidité et donc la diminution très rapide du chômage. Ces investissements publics sont aussi liés au domaine de la recherche développement dans le sens de la construction d’un Etat Stratège, qui permet de donner de la visibilité et une demande solvable aux investissements privés.

3 -  Le caractère massif de l’investissement pose évidemment la question de la nouvelle organisation financière. Il est évidemment impossible de reconstruire dans le long terme en restant victime de la tyrannie du court terme. Parce que les investissements doivent être massifs et porteurs de résultats immédiats et importants en termes de réduction du chômage, il est nécessaire de reconfigurer dans sa totalité le système bancaire et financier.

Le passage urgent et rapide à une économie décarbonée suppose des crédits qui ne se limitent pas à l’épargne constituée, et donc exige une émission monétaire à la hauteur des moyens techniques et humains mobilisables au titre de la décarbonisation. Cela suppose, en reprenant le schéma proposé par Michel Aglietta[8], la sélection et la certification des investissements bas carbone, leur financement par des banques avec la certitude de pouvoir les céder à la banque centrale pour la valeur inscrite. Au total,  le bilan de la Banque centrale s’accroit en actifs carbone, actifs dont la contrepartie au passif est l’augmentation de la réserve monétaire des banques. Il est possible d’envisager des procédures semblables pour les infrastructures et autres investissements moteurs de la relocalisation.

On comprend immédiatement que de tels schémas supposent la stricte obéissance de la Banque centrale envers les décideurs de l’Etat Stratège. On comprend aussi que le système bancaire doit être largement contraint par ce même Etat[9]. On comprend enfin que nous entrons dans une véritable économie de l’offre qui,  par la hauteur de l’investissement nouveau financé par création monétaire,  génère un flux de revenus  propre à réanimer la croissance.

4 -  Cette politique proactive suppose la mobilisation d’une main d’œuvre nouvelle devant s’adapter aux métiers correspondants. Pour cela le premier impératif porte sur la réquisition de l’ensemble des fonds de la formation professionnelle, 35 milliards d’euros, souvent improductivement dépensés. La réallocation autoritaire des ressources devra devenir l’outil au service des investissements industriels et de protection de l’environnement. En particulier cela passe par moins de légéreté au profit de formations de complaisance et la mise en place immédiate de filières industrielles d'excellence.  Cela passera aussi par des contrats de formation et d’emploi avec sanction lourde en cas de non-respect par les parties signataires. Il est en effet urgent de mettre fin au gaspillage de la formation continue Cela passera enfin par la modération des nouvelles dépenses aux services à la personne dont le fonctionnement ne génère pas de rendements croissants.

 


 

[1] Les Echos du 10 septembre 2016.

[2] Selon Natixis.

[3] Toujours selon Natixis.

[4] Raccourcissement et renationalisation des chaines de la valeur permet aussi de diminuer l’évaporation fiscale qui résulte notamment des prix de transferts toujours contestables, et des facilités offertes par les paradis fiscaux.

[5] Il s’agirait bien d’un préfinancement donc un crédit puisque les sommes avancées au titre du redéploiement ne seront de fait remboursées que sous la forme des cotisations sociales nouvelles entrainées par la relocalisation.

[6] Précisons toutefois qu’avec une élasticité/prix à l’exportation d’environ 0,75, le changement de parité devrait entrainer un gain d’exportation développant la demande globale.

[7] Nous pensons ici en particulier au cas d’Alstom, mais aussi à toutes les industries de l’armement.

[8] « La monnaie entre dettes et souveraineté »- Odile Jacob- 2016.

[9] A cet égard on pourrait aller beaucoup plus loin et imposer une renationalisation complète de la monnaie dans le cadre de ce qu’on appelle le 100% monnaie. Dans une telle hypothèse la monnaie créée par la banque centrale est créditée au compte du Trésor qui revend et répartit ladite monnaie au sein du système bancaire.

 

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